Demandez à Patrick Leblond à quel point les économies canadienne, américaine et mexicaine sont intimement liées, et il vous parlera du chemin que parcourt un gadget de l’Asie jusqu’au Canada.

M. Leblond, professeur agrégé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, cite l’exemple d’un condensateur – un composant pas plus gros qu’un sou noir qui emmagasine l’énergie électrique nécessaire pour repositionner un siège de voiture. Fabriqué en premier lieu en Asie, il emprunte tout un itinéraire – Colorado, Michigan, Mexique, Texas, puis retour au Michigan –, qui se termine à Mississauga, en Ontario, où il est installé dans un véhicule.

Ce cas montre que si l’un des trois pays nord-américains imposait des tarifs douaniers ou des barrières tarifaires sur ce produit chaque fois qu’il traverse une frontière, le coût du commerce deviendrait prohibitif. M. Leblond ajoute que, comme ces trois économies sont fortement intégrées, il est difficile de chiffrer les exportations réelles. Notre condensateur ne pourrait en effet être comptabilisé qu’une seule fois, à titre d’importation de l’Asie par les États-Unis. Ses autres mouvements transfrontaliers en sol nord-américain risquent quant à eux de passer inaperçus.

Dernièrement, M. Leblond a participé à un symposium à l’Université d’Ottawa, lequel s’intitulait Canada-Mexico Outlook on Trade, Investment and Integration, où l’on a souligné le fait que le Canada et le Mexique auraient avantage à intensifier leurs échanges commerciaux.

Iguane avec en arrière-plan un camion couvert de graffitis

Le commerce entre le Canada et le Mexique n’a réellement pris son envol qu’en 1994, avec l’entrée en vigueur de l’ancien Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Les exportations canadiennes au Mexique ont connu des hausses marquées dès 1999, quand on a amorcé l’élimination progressive des tarifs douaniers. Selon Statistique Canada, les exportations de marchandises canadiennes vers le Mexique ont atteint 8,2 milliards de dollars en 2018, et 1,2 milliard de dollars pour les services. En 1993, l’année précédant l’ALENA, les exportations canadiennes ne totalisaient que 825 millions de dollars. Vers le Mexique, les plus importants produits d’exportation du Canada sont les automobiles, les céréales et les réacteurs nucléaires, suivis par l’acier et les moulages de fonte.

Pourquoi le Mexique?

Selon M. Leblond, le commerce avec le Mexique présente pour les entreprises canadiennes les grands avantages suivants :

  1. Le Mexique est l’une des plus grandes économies du monde, avec 132 millions de consommateurs et une classe moyenne en croissance.
  2. Le Canada et le Mexique sont unis par un accord commercial de longue date, dont la mise à jour est imminente (Accord Canada–États-Unis–Mexique ou ACEUM).
  3. La main-d’œuvre mexicaine est bon marché et hautement qualifiée.
  4. Les PME canadiennes peuvent s’insérer dans les chaînes d’approvisionnement mexicaines.
  5. Le Mexique est membre du G20 et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

« C’est un pays qui respecte les règles internationales du système dont dépend le Canada, précise M. Leblond. Bref, nous faisons partie des mêmes clubs internationaux. »

6.    Le Mexique peut servir de tremplin vers d’autres pays latino-américains.

« Le Mexique a passé de nombreux accords commerciaux avec des pays d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, commente M. Leblond. Il peut s’avérer plus facile d’atteindre ces marchés par l’entremise du Mexique que depuis le Canada. »

Homme appuyé contre un mur de briques

Risques à considérer

L’un des avantages du commerce avec le Mexique est qu’il est régi par un accord commercial. Par contre, cet avantage peut se trouver annulé si le respect des exigences de l’accord, comme celles liées aux règles d’origine, est trop coûteux pour les PME. C’est pourquoi il arrive qu’elles fassent fi de l’accord et se contentent de payer les tarifs douaniers applicables.

Les PME ont à leur disposition des ressources pour s’y retrouver dans ces accords complexes, par exemple les experts d’Exportation et développement Canada (EDC) et du Service des délégués commerciaux (SDC).

Le crime organisé et la corruption comptent parmi les autres risques à gérer sur le marché mexicain. Cela dit, selon l’ambassadeur Juan José Gomez Camacho, qui a aussi pris la parole au symposium, ces problèmes se limitent à certaines régions du pays, et ils peuvent être évités. Ici encore, grâce à l’expertise d’EDC et du SDC, il est possible d’atténuer ces risques. M. Leblond suggère aux petites entreprises de demander conseil aux grandes pour apprendre à contourner ces embûches sur de nouveaux marchés.

« Les exportateurs doivent savoir gérer ces risques et éviter les écueils, affirme-t-il. La clé, c’est de trouver les bons partenaires mexicains et d’établir avec eux des relations durables. »

Quelle sera l’incidence de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique sur les débouchés à l’exportation?

L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) ne modifie les règles d’origine que dans le secteur automobile, lesquelles sont devenues plus compliquées en raison des exigences américaines, explique M. Leblond en ajoutant qu’il s’agit là d’un défi – et non d’un avantage. Il n’empêche que, pour qui s’attarde aux chiffres, l’ACEUM ne changera pas grand-chose. Le chapitre sur le commerce numérique apporte des éclaircissements sur les mouvements de données, mais M. Leblond estime que cela n’aura aucune incidence sur la plupart des entreprises canadiennes.

« Pour la grande majorité d’entre elles, l’Accord Canada–États-Unis–Mexique maintient le statu quo », conclut-il.