En janvier dernier, le marché de l’emploi au Canada était en surchauffe. Le taux de chômage était à son plus bas depuis 46 ans. Les entreprises ne se plaignaient pas seulement du manque de main-d’œuvre qualifiée, mais du manque de main-d’œuvre tout court. Tout a basculé du jour au lendemain. Le vent de panique a soufflé, ici, aux États-Unis, en Europe. Même les marchés émergents s’affairaient à endiguer l’hémorragie. Partout, des pertes d’emplois massives, pendant que les médias nous montraient en boucle le malheur des travailleurs touchés.
En deux mois seulement, le Canada a perdu trois millions d’emplois, soit plus de 15 % de la main-d’œuvre d’avant la pandémie. Jamais dans les trois dernières récessions n’avait-on assisté à une saignée si rapide et importante. Ce fut, sur tous les plans, un choc instantané et dévastateur porté à tous les secteurs et à toutes les régions du pays.
Heureusement, pour beaucoup, l’épisode a été bref. Avril et mai ont été difficiles, mais depuis, 2,3 millions d’emplois ont été récupérés, une remontée rapide qui, encore ici, contraste fortement avec la longue et pénible reprise qui suit habituellement une récession. Néanmoins, 720 000 personnes se demandent toujours à quand ira le retour au travail. Le taux de chômage, à un plancher de 5,5 % en janvier, demeure très élevé à 9 %, venant tout juste de quitter la zone des deux chiffres en septembre.
Les choses devraient continuer de s’améliorer, mais on s’attend à ce que la deuxième vague récente freine la cadence. La reprise sera aussi entravée par la variabilité des conséquences de la COVID-19 selon le secteur. Par exemple, les réembauches demeurent au ralenti dans les services d’hébergement et de restauration, l’agriculture, la construction et le transport.
Il n’en demeure pas moins que certains secteurs sont déjà dans le « club des 100 % », c’est-à-dire qu’ils sont revenus au niveau d’emploi d’avant la pandémie. Les services publics et les services d’éducation ont même largement dépassé ce niveau. Quant à la finance, aux assurances, aux services professionnels, scientifiques et techniques et à la fabrication, ils atteignent ou frisent le seuil en question.
Les travailleurs à temps partiel retrouvent leur emploi plus vite que les travailleurs à temps plein, bien que l’écart soit mince. En septembre, ils en étaient à 98 % du niveau pré-COVID-19, contre 96 % pour les travailleurs à temps plein, vu la création de 609 000 postes depuis mai.
Malgré ces turbulences, on garde espoir. Si le taux de chômage reste obstinément élevé, c’est parce que la participation au marché du travail est forte, soit plus précisément à 99,2 % des niveaux d’avant la COVID-19. Les travailleurs potentiels sont en recherche active, probablement encouragés par la remontée rapide des embauches.
Mais comment se situe notre pays par rapport aux autres? Chez notre voisin du Sud, la situation n’est pas rose. Des 22 millions d’emplois perdus, seuls 11 millions sont revenus. Aux États-Unis, le taux de chômage a diminué pour s’établir à 7,9 %, mais la participation au marché du travail n’aura remonté que d’un tiers par rapport à la chute due à la pandémie, signe d’une morosité plus grande qu’ici.
Les chiffres sectoriels sont aussi très différents de ceux du Canada. Les pertes sont réparties assez également entre les secteurs des biens et ceux des services; le nombre d’emplois n’a repris qu’un peu plus de la moitié du terrain perdu à cause de la COVID-19. La fabrication affiche un important retard par rapport à notre pays et a connu une reprise tout juste supérieure à la moitié des niveaux précédents; des problèmes de chaîne d’approvisionnement sont peut-être à prévoir à court terme. En revanche, la vente au détail et la construction enregistrent de bien meilleurs résultats que la moyenne, ce qui est de bon augure pour ces secteurs.
La relance complète attendra le retour au niveau d’emploi d’avant la pandémie. D’ici là, il faudra continuer de compenser les pertes économiques en recourant à des fonds de relance, et la demande globale s’en ressentira. À quand le retour de cieux plus cléments? Tout d’abord, notons que l’emploi suit la croissance du PIB : les entreprises attendront d’être convaincues que la croissance se maintiendra. Par ailleurs, selon toute vraisemblance, les secteurs les plus durement touchés (aéronautique, énergie, tourisme, entreprises peu numérisées) ne s’en remettront pas de sitôt et hésiteront un moment avant de réembaucher du personnel.
En attendant le retour au plein emploi, voici des données encourageantes : on compte 18,5 millions d’emplois au Canada, et 142 millions aux États-Unis. Le fait que tous ces travailleurs dépensent moins, et donc qu’ils économisent plus, est encore plus prometteur – les dépôts à vue dans les banques totalisent 217 milliards au Canada et 2,2 billions chez nos voisins du Sud, soit une proportion importante du PIB annuel dans les deux cas. Lorsque nous recommencerons tous à dépenser comme avant, il s’agira là d’une source considérable de capital privé pour relancer l’économie.
Conclusion
Les pertes d’emploi en mars et en avril ont provoqué une onde de choc, au Canada comme ailleurs dans le monde. La rapidité avec laquelle nous sommes retournés au travail, ne serait-ce que partiellement, a été tout aussi fulgurante. Considérant la pénurie de main-d’œuvre que nous connaissions avant la pandémie, les entreprises ont recours à de nombreuses mesures incitatives pour convaincre leurs employés de revenir au travail dès que possible et pour recruter des personnes sans emploi. Et celles qui tardent à agir pourraient bien le regretter.
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