Le deuxième millénaire, celui des risques extrêmes? On peut se poser la question : les attaques terroristes du 11 septembre, le quasi-effondrement du système financier mondial, le regain du populisme dans les économies développées, la paralysie de l’activité industrielle en temps de pandémie et une guerre en Europe... Tout cela ne serait, semble-t-il, qu’un début.

Malgré sa complexité grandissante, l’économie mondiale reste vulnérable à des chocs imprévus pouvant infléchir sa trajectoire. Si certains événements peuvent être considérés, à juste titre, comme imprévus, d’autres méritent d’être analysés de plus près. Après tout, l’assassinat de l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand en 1914 – l’événement déclencheur de la Première Guerre mondiale – est survenu dans un contexte marqué par une course à l’armement, la montée du nationalisme,  l’impérialisme, le militarisme naissant de l’Allemagne impériale et la consolidation des alliances.

Les présumés dividendes de la paix à la fin de la Guerre froide et notre confiance dans la capacité des décideurs à réguler les cycles économiques ont alimenté la croyance que les chocs à venir seraient brefs et légers. Or, notre interprétation naïve du concept de « l’efficience des marchés » – selon laquelle les prix des actifs intègrent toutes les informations pertinentes et accessibles – et la théorie des « attentes rationnelles » – qui postule que les acteurs économiques font des choix à partir de ces informations – ont sans doute contribué à relâcher notre vigilance. Que ces principes reflètent ou non fidèlement la réalité, leur acceptation a persuadé beaucoup de monde que les marchés étaient mieux protégés qu’ils ne l’étaient dans les faits.

Même s’il n’existe toujours pas de consensus sur les principales causes de l’attaque du 11 septembre 2001 aux États-Unis, avec le recul, on ne peut ignorer les répercussions de la révolution en Iran, de l’invasion soviétique en Afghanistan, de la politique extérieure américaine au Moyen-Orient, des changements démographiques dans le monde arabe et de l’explosion des technologies de l’information.


Après la récession de 2001 aux États-Unis, le laxisme entourant les normes, les réglementations et les mécanismes de surveillance dans le domaine de la souscription ont mené à des conditions de financement abusives, à l’augmentation des taux d’approbation des hypothèques, à de l’ingénierie financière, à la prise de risques injustifiés par des sociétés financières en quête de rendements élevés. À cela se sont ajoutées l’abondance du crédit et les politiques du gouvernement américain visant à promouvoir l’accès à la propriété : tous les éléments étaient alors réunis pour la crise financière mondiale de 2008.

Par la suite, en octobre 2016, les emplois dans le secteur de la fabrication aux États-Unis ont chuté de 29 % par rapport à l’année 2000 – un tiers de ces pertes d’emplois étant survenu depuis la crise financière mondiale. Dans l’intervalle, le revenu des ménages du décile supérieur avait bondi de 8 % avant la crise financière, tandis que celui de la moitié inférieure avait diminué de 10 %. 

Parallèlement, les marchés boursiers ont plus que récupéré la totalité (et pour certains, une partie) de leurs pertes financières, notamment grâce aux programmes de sauvetages des banques et à la politique monétaire accommodante. Résultat : les riches sont devenus encore plus riches…

Le cours des principaux produits de base (notamment des produits agricoles, mais surtout de l’énergie) a réagi aux changements structurels à l’échelle mondiale, ce qui a obligé à repenser les secteurs industriels, qui sont historiquement de grands employeurs aux États-Unis. En tenant compte des changements démographiques, d’un passé marqué par des divergences à caractère racial qui subsistent encore, et d’une pandémie qui amplifie les tensions et les inégalités, on découvre les éléments à la base du soutien accru aux politiques populistes aux États-Unis. Le maintien d’une faible croissance et des politiques fragmentées en matière d’immigration en Europe ont provoqué une vague déferlante du populisme de l’autre côté de l’Atlantique. 

Les microbiologistes signalent depuis longtemps le risque posé par une transmission de pathogènes d’origine animale à des humains, même si le mode d’infection restait imprévisible. Ce qui était plus évident, cependant, c’était la constante érosion de la coopération internationale dans un monde non polaire, ce qui a rendu difficile, voire impossible, la mise en œuvre d’une réponse coordonnée à la pandémie mondiale. 

Plus récemment, le 24 février dernier, après quelque 77 années de paix et de sécurité en Europe, le président Vladimir Poutine a ordonné à l’armée russe d’attenter à la souveraineté territoriale de l’Ukraine en faisant une incursion militaire dans ce pays d’Europe orientale. Même si l’ampleur et la brutalité de cette invasion continuent de surprendre même les observateurs les plus avertis, l’invasion orchestrée par M. Poutine figure parmi les guerres les plus médiatisées de l’histoire. Le président Poutine, ancien agent du KGB à l’ère soviétique, avait ouvertement qualifié l’effondrement de l’Union soviétique de « grande tragédie humanitaire ». De plus, il n’avait jamais caché ses vues sur ce qu’il considère comme « d’anciens territoires russes ».

Conclusion?

Il y a des événements imprévus extrêmes. Toutefois, la plupart du temps, les éléments à la source de l’instabilité sont bien en vue, en périphérie. Il suffit d’être attentif et de les repérer. 

La véritable question qui se pose aujourd’hui est la suivante : que nous disent la réponse des gouvernements à la pandémie, les grandes tendances de l’urbanisation, les fluctuations démographiques mondiales, l’aggravation des inégalités, les perturbations induites par les technologies, les changements climatiques, l’envolée des prix des produits alimentaires et la polarisation croissante du système mondial à propos des risques extrêmes de demain?

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