Est-ce une bonne idée de se tourner vers de nouveaux marchés d’exportation? Je suis étonné, ou plutôt estomaqué, de voir que la réponse d’éminents économistes canadiens à cette question est non. Leur argumentaire semble irréfutable : nous avons à nos portes la première puissance économique mondiale, avec laquelle nous partageons une langue et beaucoup d’histoire, de coutumes et de préférences, ainsi que la plus longue frontière non défendue du monde. C’est un mariage qui coule de source. Pourtant, la dynamique de la croissance mondiale indique tout le contraire. Serions-nous enfin à l’aube d’une transformation radicale du marché extérieur canadien?

Des données récentes trompeuses

Les tendances observées récemment sont décevantes. Pensez à la Chine, le deuxième partenaire commercial du Canada. Son économie est l’une des plus florissantes de la planète; pourtant, depuis 2012, la croissance de nos ventes en Chine reste égale à celle de nos exportations sur notre marché voisin. Pour certains, c’est immuable, fin de l’histoire. Les données, elles, indiquent que ce n’est pas forcément le cas. Tout d’abord, la chute du cours mondial des produits de base survenue entre 2014 et 2016 a pesé sur les ventes de matières premières. Ensuite, les stocks excédentaires d’acier et d’autres marchandises de la Chine y ont temporairement fait diminuer la demande d’intrants industriels en provenance du Canada. Par ailleurs, la tentative de la Chine de s’affranchir des mesures de relance publiques a entraîné une certaine volatilité de la demande. Enfin, les États Unis, en pleine reprise économique, ont vu leurs besoins en biens et services canadiens augmenter. Il est donc évident que certains facteurs temporaires faussent les chiffres et que les dernières tendances ne peuvent servir de référence.

Une transformation déjà en marche

C’est peut-être en remontant jusqu’en 2000 que l’on peut dégager des tendances plus parlantes. À cette époque, la croissance annuelle des exportations vers la Chine était supérieure de 11 % à celle des ventes vers les États-Unis. Si, à partir d’aujourd’hui, cette tendance devait persister, la Chine deviendrait le premier importateur de marchandises canadiennes en seulement 26,3 ans. Pour certains, une telle hypothèse est quelque peu tirée par les cheveux. Soit! Regardons alors la croissance relative de 2014 à 2017, une période durant laquelle la Chine menait la course de 6 % par an. Dans ce cas, cela ne prendrait que 44 ans à la Chine pour devenir le premier marché de destination de nos exportations. Somme toute, cela demeure très rapide.

L’une ou l’autre de ces hypothèses est-elle réaliste? Tout dépend du potentiel de croissance économique de nos partenaires commerciaux et de notre capacité à répondre à leur demande croissante. On s’accorde sur le fait qu’à long terme, l’économie des États-Unis peut soutenir une croissance annuelle de 2,5 %, voire de 3 % selon des estimations externes. En parallèle, le potentiel de croissance de la Chine est deux fois plus élevé, et celui de l’Inde se situe sans doute autour de 8 %. Un calcul rapide des besoins relatifs de ces marchés en matière d’importation laisse présager que nous nous dirigeons naturellement, ou inéluctablement, vers la diversification du commerce.

L’Australie l’a bien compris

Si cette théorie tient la route, nous devrions pouvoir trouver des exemples pour l’appuyer. Allons d’abord voir du côté de l’Australie, une petite économie ouverte semblable à la nôtre. En 1987, les principaux importateurs de produits australiens (le Japon, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande) représentaient environ 50 % des exportations, tandis que la Chine se situait autour de 3 %. Sa croissance, par contre, était trois fois plus rapide. Malgré cela, sa part dans les exportations australiennes ne dépassait pas les 5 % en 2000. Mais la vitalité de sa croissance ne s’est pas estompée et la magie de la capitalisation a opéré : en 2016, la Chine s’était hissée à la première place, et elle compte aujourd’hui pour un alléchant 31 % des exportations australiennes. Il s’agit là du plus vibrant exemple de ce qu’une révolution dans la composition commerciale globale d’un pays peut donner.

Le Canada : sur la même voie?

Serait-ce alors possible que le Canada emprunte la même voie que l’Australie? C’est ce que les données sectorielles laissent largement entrevoir. Depuis longtemps, la Chine constitue le premier marché d’exportation de pâte et de billes de bois de la Colombie-Britannique et, dans les dernières années, les importations de produits de sciage de la Chine ont atteint la moitié du volume exporté vers les États-Unis. Les expéditions de produits alimentaires en provenance de tout le Canada connaissent également une hausse spectaculaire et, dans certains secteurs, les importations de la Chine représentent désormais un quart de celles des États-Unis. En fait, la Chine est l’un des principaux moteurs de la diversification qui, depuis 2000, a touché toutes les provinces canadiennes ainsi que les principales industries à l’échelle du pays. Entre-temps, la part de nos ventes sur les marchés émergents est passée de 5 % à plus de 13 % des exportations totales de marchandises.

Si les tendances observées en début de millénaire persistent, l’exportation canadienne prendra rapidement un tout autre visage. D’ici 20 ans, plusieurs industries pourront affirmer que la Chine est leur premier marché d’exportation, dont celles de la transformation des viandes, des produits de la mer, du caoutchouc, des métaux affinés et recyclables et de la production d’huiles végétales et d’amidon. Posez la question aux acteurs de ces industries et ils vous confirmeront sans hésitation que la machine est lancée et qu’elle va à un rythme effréné.

Conclusion?

Non seulement la diversification du commerce canadien en vaut la chandelle, mais elle est inévitable et déjà en marche dans les industries à l’avant-garde de cette tendance. Elle transforme déjà le potentiel de croissance économique à long terme du Canada. Alors, trêve de bavardage! Il est temps de suivre le mouvement.

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