L’après-COVID-19 a accéléré plusieurs changements structurels dont les répercussions sont ressenties en temps réel. Même si leur impact est moins visible que les tablettes vides dans les épiceries ou l’absence de stocks chez les concessionnaires automobiles, le resserrement historique et le bouleversement des marchés de l’emploi pourraient avoir des effets plus durables. Notre équipe de recherche a récemment analysé les marchés de l’emploi nord-américains et cerné les retombées potentielles de cette situation sur la compétitivité future du Canada.

Au lendemain des confinements, au Canada tout comme aux États-Unis, on a assisté sur le front de la main-d’œuvre à un solide rebond de la demande et à un rebond moins robuste de l’offre. L’embellie de la demande – mesurée par le nombre de postes pourvus et vacants – était alors surtout alimentée par la fin de « la mise entre parenthèses » des dépenses de consommation pendant la pandémie et par le recours au surplus d’épargne accumulé durant cette crise. 

Dans les secteurs les plus touchés par les confinements (par exemple, les services alimentaires, les secteurs de l'hôtellerie, du divertissement et d’autres nécessitant des interactions en personne), l’envolée soudaine de la demande en main-d’œuvre a été particulièrement marquée. Même si, pour le moment, les entreprises recrutent toujours à la faveur de bénéfices records, l’augmentation des coûts, le tassement de la demande et le durcissement des conditions de crédit viendront forcément réduire leurs marges, ce qui les obligera à supprimer des postes au cours de l’année à venir ou de la suivante.

Le ralentissement macroéconomique devrait tempérer la demande de main-d’œuvre dans le secteur des services. Malgré tout, le mouvement vers la relocalisation, qui est facilité par la mise en place de la législation américaine Inflation Reduction Act et d’autres politiques du même type au Canada, continuera de soutenir la demande de main-d’œuvre dans les filières industrielle et de la fabrication. 

Dans notre Propos du 13 avril, j’ai évoqué une vague de politiques industrielles gouvernementales. Cette vague contribue à bonifier les niveaux d’investissement direct à l’étranger (IDE) parce que les entreprises désirent tirer parti des subventions à l’échelle locale. À ce jour, cependant, cette demande s’est accompagnée d’une offre plutôt modeste. 

L’effet progressif du vieillissement de la population, une réalité structurelle connue depuis un bon moment, joue ici un rôle déterminant. À vrai dire, des effets démographiques très prévisibles sont à l’origine d’une bonne partie de la pénurie de main-d’œuvre. À ce chapitre, la pandémie n’a rien arrangé, bien au contraire. Les départs à la retraite anticipés, un nombre quasi équivalent de décès imprévus et la chute notable des niveaux d’immigration auront des répercussions permanentes. À court terme, il sera difficile d’inverser cette dynamique démographique.


Ce contexte se traduit, au Canada, par une absence presque totale de surplus de main-d’œuvre et, aux États-Unis, par un grave déficit de main-d’œuvre. En fait, les taux de chômage au Canada, aux États-Unis et au Mexique ont glissé à des creux inédits. Le Mexique enregistre son plus faible chômage depuis 2005. Quant aux États-Unis, ils affichent les taux de chômage records d’avant la pandémie. Le Canada n’est pas en reste : il connaît son plus faible taux de chômage depuis 1974.

Cette conjoncture est compliquée par la difficulté à faire concorder les profils de compétence aux offres d’emploi. Les entreprises canadiennes nous disent souvent que le manque de travailleurs possédant les compétences recherchées figure parmi leurs grandes préoccupations. En raison de ces frictions sur le marché, le taux de postes vacants est d’environ 50 % plus élevé qu’avant la pandémie, et ce, aux États-Unis comme au Canada.  

Une chose est sûre : plus cette situation perdure, plus le Canada risque de voir diminuer ses chances de bénéficier d’investissements essentiels générées par la relocalisation, alors même que des projets peinent à trouver des travailleurs. Si les entreprises continuent de se détourner du Canada en raison de sa pénurie de main-d’œuvre qualifiée pour se tourner vers ses pairs, la compétitivité de notre pays en pâtira. 

Par ailleurs, le resserrement des marchés de l’emploi entrave les efforts pour lutter contre l’inflation. Dans les années 2010, la main-d’œuvre abondante et les efforts soutenus pour mondialiser les chaînes d’approvisionnement ont aidé à maîtriser les tensions inflationnistes. Aujourd’hui, confrontées à une main-d’œuvre disponible de plus en plus rare et à une mondialisation devant s’adapter aux tensions géopolitiques du moment, les économies subissent des tensions inflationnistes absentes du paysage économique depuis des décennies.

Conclusion?

Le resserrement des marchés de l’emploi pose des défis de taille. Le Canada n’est pas seul à devoir composer avec les difficultés de ce genre. L’immigration ainsi que des investissements plus importants dans la mécanisation, la numérisation et l’automatisation pourraient aider à renforcer la productivité et la compétitivité du Canada. C’est maintenant qu’il faut agir si nous souhaitons profiter de la manne d’IDE qui gagne l’Amérique du Nord.

Nos sincères remerciements à William Thomas, adjoint à la recherche au Service de recherche et d’analyse d’EDC, pour sa contribution à la présente édition. 

Les Services économiques d’EDC vous invitent à leur faire part de vos commentaires. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer à l’adresse economics@edc.ca et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future du Propos.

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