Stuart Bergman

Le risque géopolitique rebat-il les cartes du commerce mondial?

Ces jours-ci, les grands titres qui défilent sur vos applications d’actualité préférées ont des allures de rengaine : tensions géopolitiques à la hausse, conflits armés entre États, guerres commerciales et ordre mondial chamboulé. Avouons que le contexte actuel n’a rien pour rassurer... Cette année, le niveau de l’indice du risque géopolitique compilé par les deux économistes de la Fed Caldara et Iacoviello – indice qui retrace les événements géopolitiques perturbateurs faisant l’objet d’une couverture médiatique dans les grands quotidiens– est de 50 % plus élevé que la moyenne des 40 dernières années. Rien d’étonnant donc que le plus récent sondage de l’indice de confiance commerciale d’Exportation et développement Canada place le risque géopolitique parmi les principaux défis non financiers de l’heure pour les exportateurs.

Le commerce international tient bon malgré les tensions qui s’accentuent

C’est là une certitude : les risques géopolitiques sont en augmentation. Pourtant, la mondialisation et le commerce international gardent le cap. Selon le Bureau d’analyse de la politique économique des Pays-Bas (NBEPA), après correction de l’effet des prix, le volume des échanges commerciaux a fait un bond de plus de 4 % en rythme annuel. Parallèlement, l’activité de transport maritime des marchandises est en moyenne 20 % plus élevée qu’au cours de la décennie précédant la pandémie de COVID-19. Comme nous l’avons déclaré à maintes reprises dans cette chronique, le commerce mondial ne se résume plus seulement à maximiser les gains d’efficience, mais il saura trouver sa voie.

Cette résilience s’explique notamment par la vigueur accrue de la chaîne d’approvisionnement mondiale. À ce titre, l’indice Global Supply Chain Pressure de la Réserve fédérale de New York révèle que, malgré l’incertitude, l’ampleur des goulots d’étranglement est plutôt conforme à la moyenne à long terme.

L’impact limité des perturbations du commerce maritime et des chocs pétroliers

Au Moyen-Orient, les attaques perpétrées par les Houthis sur des navires marchands transitant par la mer Rouge ont dérouté plusieurs cargos vers le cap de Bonne-Espérance, ce qui a accru les délais et les coûts. Dans l’ensemble, néanmoins, pareilles perturbations ont eu des retombées limitées sur le commerce en raison de l’excédent de capacité du transport maritime mondial de marchandises, l’activité efficiente dans les ports et la gestion juste-à-temps des stocks.

Cette résilience a aussi été démontrée lors des récentes attaques visant les installations militaires et nucléaires iraniennes, alors que les cours de l’or noir n’ont guère cédé de terrain. L’attaque directe des États-Unis sur le sol iranien a fait grimper les cours pétroliers d’à peine sept dollars le baril. Cette réaction donne à penser que les marchés envisagent de plus en plus des scénarios géopolitiques autrefois jugés impensables.

Les exportateurs doivent se préparer à l’évolution des risques à l’échelle du globe

Les exportateurs ne devraient pas faire fi du risque géopolitique. À l’instar des changements climatiques, les répercussions de tels risques pourraient prendre du temps à se manifester. La Russie a envahi la Crimée en 2014, mais ce n’est que tout dernièrement que l’Allemagne a restructuré son économie afin de délaisser l’énergie russe bon marché. La guerre russo-ukrainienne, qui en est à sa quatrième année, a réorienté les économies européennes vers les investissements dans le secteur de la défense, et les gouvernements à quatre coins de planète se sont engagés à se remilitariser.

Selon notre scénario de référence, en Asie, la Chine usera de tactiques coercitives – cyberattaques, exercices militaires, embargos commerciaux et pressions sur l’économie – afin de mener à bien la réunification de Taïwan. Une invasion à grande échelle de l’archipel pourrait priver l’Occident de son accès à des semiconducteurs de pointe essentiels pour la mise en place de son économie numérique.

Érosion institutionnelle et recentrage : des vecteurs de mutation du commerce

Le stress élevé engendré par le contexte géopolitique incite souvent les nations à se replier sur elles-mêmes, situation qui préoccupe à juste titre les exportateurs. Pour des pays tributaires du commerce comme le Canada, ce recentrage pourrait  poser certains défis. D’après une étude réalisée par le Centre for Economic Policy Research (CEPR), un niveau élevé de risque géopolitique peut entraîner une diminution de 20 % à 30 % des échanges commerciaux, soit l’équivalent d’une majoration des droits de douane à l’échelle mondiale pouvant atteindre 11 %.

Il sera aussi crucial de surveiller l’évolution des institutions internationales sur lesquelles repose le commerce international. La raison : le climat géopolitique actuel  cause un effritement de la confiance à l’égard d’entités comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ainsi, il sera primordial que les exportateurs canadiens restent à l’affût de la manière dont ces institutions évolueront et, le cas échéant, des nouveaux mécanismes qui pourraient les remplacer.

La conclusion : les risques géopolitiques sont en hausse, mais le commerce tient bon

Le risque géopolitique s’intensifie à mesure que les nations du monde affirment leur indépendance et s’éloignent de la dynamique unipolaire et bipolaire ayant prédominé au 20siècle. Pourtant, la mondialisation demeure en grande partie intacte. Les marchés peuvent avoir une réaction excessive à la conjoncture dans un horizon à court terme; ils peuvent aussi en sous-estimer les conséquences à long terme. Les événements liés au risque géopolitique pourraient-ils alors remodeler peu à peu l’avenir de l’intégration et de la coopération à l’échelle mondiale?

Pour autant, les exportateurs canadiens ne devraient pas renoncer à saisir des occasions sur les marchés mondiaux. Ils doivent toutefois rester attentifs aux tendances géopolitiques générales susceptibles de redéfinir les risques et les récompenses de demain.

Pour développer une connaissance plus approfondie des risques mondiaux, nous vous invitons à consulter l’Analyse trimestrielle des risques pays d’EDC, qui donne un aperçu de plus de 70 marchés et propose une analyse des changements politiques, économiques et structurels auxquels sont exposés les exportateurs canadiens tout au long de leur expansion internationale.

Nous tenons à remercier chaleureusement Ian Tobman, gestionnaire de notre Centre d’information économique et politique, pour sa contribution à la présente chronique.

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Date de modification : 2025-09-04