L’incertitude géopolitique a toujours préoccupé les exportateurs canadiens faisant des affaires à l’étranger, mais la montée et l’étendue des tensions dans le monde ont porté l’instabilité mondiale à des niveaux jamais atteints au cours des cinquante dernières années. Comment les entreprises peuvent-elles mesurer ces risques et évaluer le coût qu’ils représentent afin de prendre des décisions plus éclairées?

Malgré les efforts récents de la diplomatie du panda, les tensions entre les États-Unis et la Chine ont conduit à une confrontation dans des secteurs stratégiques importants, à des tensions latentes en mer de Chine méridionale et à des opérations de charme concurrentes sur les marchés à croissance rapide de l’Asie du Sud-Est. De plus, le monde est aujourd’hui confronté à deux guerres ouvertes qui font rage dans des régions stratégiques de la planète. Et, depuis 2020, huit coups d’État militaires ont eu lieu en Afrique occidentale et centrale, contre moins d’un par an au cours de la décennie précédente.

Outre la menace d’un engagement militaire immédiat, les changements de leadership et l’instabilité au niveau des politiques peuvent également entraîner des répercussions sur le coût des affaires. La crise mondiale liée au coût de la vie, qui ne cesse de s’intensifier, a contribué au succès de politiciens populistes et de l’extrémisme politique sur tous les continents, à l’exception de l’Australie et de l’Antarctique. L’année prochaine, 76 pays – représentant plus de la moitié de la population mondiale – devraient envoyer leurs électeurs aux urnes, ce qui fait planer le spectre d’un renforcement du protectionnisme.

Aux États-Unis, la polarisation apparemment irréconciliable du discours politique semble conduire le pays vers une réédition de son « élection la plus importante de l’histoire ». Une seconde administration Trump s’accompagnerait presque certainement d’une incertitude accrue quant à la coopération dans certains domaines comme la sécurité, le commerce, la technologie et le changement climatique. Pendant ce temps, le monde continue de faire face à des défis générationnels en constante évolution, comme les changements démographiques qui entravent notre capacité à répondre à nos besoins toujours grandissants, l’incapacité de la société à s’adapter à l’innovation technologique exponentielle et le compte à rebours existentiel du changement climatique.


Alors, comment les entreprises peuvent-elles quantifier ces risques? Dans le passé, le marché offrait des raccourcis cognitifs qui aidaient à mesurer les risques mondiaux et leur coût, comme l’indice de volatilité du Chicago Board Options Exchange (VIX) ou même le prix des principaux produits de base, comme le pétrole. Mais au moment de la rédaction de cet article, l’indice VIX oscillait autour de 14, bien en deçà de sa moyenne historique. Quant au pétrole brut West Texas Intermediate (WTI), il se situait bien en deçà du seuil psychologique de 100 dollars le baril. Le marché a-t-il lui aussi perdu l’odorat après la COVID-19?

Certains font remarquer que les indicateurs comme le VIX révèlent simplement où l’argent circule à un moment donné. D’autres évoquent l’utilisation croissante d’instruments financiers alternatifs pour négocier la volatilité du marché, tels que les options à expiration le jour même. En ce qui concerne les produits de base, nous devons nous rappeler que les prix dépendent à la fois de l’offre et de la demande. Les cours du pétrole ont hoqueté immédiatement après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre et les inquiétudes concernant la faible demande mondiale – dans le contexte de stocks importants – continuent de peser sur les cours.

Alors, comment les exportateurs peuvent-ils mesurer les coûts réels des événements géopolitiques pour leur entreprise? Comme le souligne la dernière Analyse trimestrielle des risques pays des Services économiques d’EDC, l’une des méthodes consiste à utiliser la notation du risque de crédit attribué aux débiteurs souverains et les plafonds de crédit commercial des pays. Les écarts obligataires peuvent également aider à évaluer les risques pays. Ils indiquent le rendement supplémentaire exigé par les investisseurs pour assumer une exposition directe à une entité souveraine ou commerciale, domiciliée sur un marché particulier, par rapport au rendement perçu comme étant « sans risque » des bons du Trésor américain. Les écarts obligataires ont tendance à réagir fortement aux développements économiques importants, mais suivent également les événements géopolitiques avec la même précision.

Alors que les troupes russes s’amassaient le long de la frontière ukrainienne en 2021, les écarts sur le marché obligataire ukrainien augmentaient progressivement. Le 24 février 2022, lorsque la Russie a officiellement pénétré sur le territoire ukrainien, ces écarts ont doublé du jour au lendemain. Plus récemment, à la suite des attaques du Hamas, les écarts des pays voisins ont grimpé en flèche, par crainte d’un conflit régional étendu. L’augmentation des écarts fait grimper le coût du capital, ce qui réduit encore la capacité de paiement et déclenche souvent un cercle vicieux de détérioration des conditions commerciales.

Alors, qu’est-ce que tout cela nous dit? Considérons tout d’abord que, parmi les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) autrefois plein de potentiel, seule la Chine a une cote de solvabilité de première qualité. Comme prévu, toutes les régions des marchés émergents ont connu une augmentation des écarts obligataires par rapport au niveau d’avant 2020, les pays émergents d’Europe et d’Afrique étant ceux où les écarts se sont les plus creusés. Des pays comme l’Équateur, le Kenya, le Liban, le Pakistan et la Pologne, entre autres, ont connu des augmentations notables.

Conclusion

Les Services économiques d’EDC sont d’avis que les risques géopolitiques s’intensifieront probablement en 2024 et au-delà, car les conflits en Ukraine et en Israël devraient se poursuivre tout au long de l’année prochaine. Un nombre historique d’élections, dans un contexte de tensions internationales et de troubles intérieurs croissants, ne fera qu’ajouter à l’incertitude.

La fragilité des relations entre les États-Unis et la Chine restera également un défi, et le flux transfrontalier de biens et de services est devenu plus difficile à gérer. Comme bon nombre de ces problèmes risquent de persister, il faut que les exportateurs canadiens, qui cherchent à mettre en œuvre des stratégies de croissance sur des marchés non traditionnels, aient conscience que cela entraînera des coûts supplémentaires. Heureusement, ils pourront compter sur l’expertise d’EDC en matière de risques pays.

Nous tenons à remercier chaleureusement Richard Schuster, économiste principal, Services économiques d’EDC.

N’oubliez pas que votre avis est très important pour les Services économiques d’EDC. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer à l’adresse economics@edc.ca, et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future. 

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