Stuart Bergman

Fragile, l’économie mondiale en 2025?

Imaginons un instant que l’économie s’apparente à une partie de Jenga, en format géant. Ici, chaque achat, initiative gouvernementale ou investissement commercial prendrait appui sur une myriade d’éléments : ressources, capital, technologies et activité des entreprises de toutes tailles. Les blocs sont déplacés vers le haut ou vers le bas avec la plus grande précision en respectant l’ordre mondial de l’après-guerre, qui repose sur des principes communs qui assurent la stabilité de la tour.

La partie ne se déroule pas toujours sans accroc. Par le passé, des erreurs commises ou subies ont parfois fait vaciller et même s’écrouler la tour. De plus, des désaccords sur les stratégies ou la perception d’injustices ont parfois instauré une dynamique où chaque joueur tente « d’avoir la mainmise ». Dans l’ensemble, nous continuons à bâtir la tour ensemble, conscients que la coopération et nos atouts respectifs sont fondamentaux pour maintenir l’équilibre et continuer la partie.


Cette année, pourtant, les joueurs ont retenu leur souffle alors que des blocs étaient ajoutés, retirés, mis de côté ou réinsérés de manière imprévisible. À la fin de l’été, certains accords commerciaux clés ont enfin été mis en place, ce qui a fait souffler un vent de stabilité. Or, clarté ne rime pas toujours avec solidité.

Les tarifs douaniers et les contre-mesures ciblant chaque pays se sont multipliés. Chez les partenaires commerciaux, ils ont fait grimper les coûts et alimenté la méfiance. En parallèle, les droits sur les métaux, les automobiles, les pièces détachées et les produits agricoles ont avivé les tensions dans presque toutes les régions du globe.

Pour la plus récente édition des Perspectives économiques mondiales, les Services économiques d’EDC ont évalué la conjoncture jusqu’au 15 septembre. Ainsi, les dernières évolutions réglementaires intervenues en août, notamment la suppression des passe-droits ‘de minimis’, y sont intégrées, alors que tout revirement de dernière minute lié aux contestations juridiques en cours n’a pas été pris en compte.

Alors quel est l’état des lieux? En août, le taux moyen des droits de douane américains en vigueur sur les importations de marchandises était estimé à plus de 18 %, soit une envolée spectaculaire par rapport au taux de 2 % qui a soutenu l’architecture du commerce mondial pendant près d’un siècle. Éprouvée par la situation tarifaire et des mois d’incertitude, l’économie mondiale a vacillé, et cela n’a rien d’étonnant.  La croissance devrait frôler 2,7 % en 2025 avant de se redresser légèrement à 2,9 % en 2026, dans un contexte où les tensions géopolitiques continuent de produire des secousses.

En début d’année, c’est l’économie américaine qui a fait trembler la tour avec une envolée des importations qui a déplacé une pièce essentielle et mis la croissance en berne. Toutefois, au deuxième trimestre, la structure a retrouvé un certain équilibre grâce à la résilience de l’un de ses piliers. Les entreprises ont jusqu’ici absorbé les chocs tarifaires, ce qui a limité la poussée inflationniste. Malgré tout, la confiance des consommateurs et des entreprises reste chancelante. Par ailleurs, un ralentissement dans la création d’emplois laisse présager une certaine déstabilisation de la tour.

Économie nord-américaine : les répercussions des tarifs douaniers et des taux d’intérêt

Les Services économiques d’EDC s’attendent à ce que les États-Unis évitent la récession, à la faveur d’une croissance stable, quoique décevante, qui serait inférieure à 2 % en 2025 et 2026. La Réserve fédérale, qui porte le poids du désaveu populaire alors qu’elle tente de concilier son double mandat, devrait quant à elle abaisser son taux directeur de 50 points de base cette année ainsi qu’en 2026.

L’économie canadienne, pour sa part, a perdu quelques appuis au deuxième trimestre. Malgré un solide élan sur le front des exportations en début d’année, les droits de douane visant certains secteurs et l’incertitude ambiante ont freiné l’investissement des entreprises dans la machinerie et l’équipement, qui a atteint son niveau le plus bas depuis les années 1980. Le chômage s’oriente à la en hausse, en particulier dans les villes les plus exposées aux secousses tarifaires, à savoir Windsor, Oshawa, Calgary et Hamilton.

Selon les Services économiques d’EDC, le Canada devrait entrer en récession d’ici la fin de l’année, plombée par une croissance stagnant à 0,9 % qui devrait néanmoins se redresser à 1 % en 2026. Le retrait de plusieurs contre-mesures tarifaires, conjugué à une inflation relativement stable, donne à la Banque du Canada la latitude nécessaire pour abaisser son taux directeur à trois reprises en 2025, avant de marquer une pause en 2026. Malgré une économie manquant d’allant, le dollar canadien a tiré parti des stratégies de couverture mises en place par les acteurs du marché face aux risques générés par la politique américaine. Par rapport au billet vert, le huard devrait ainsi s’échanger en moyenne à 72 cents en 2025, puis à 73 cents en 2026, à mesure que la Réserve fédérale amorce son cycle d’assouplissement.

L’instabilité mondiale donne-t-elle une impulsion au cours de l’or et aux devises?

Plusieurs devises se sont appréciées par rapport au dollar américain. Pourtant, c’est l'or qui a affiché la plus forte progression. L’inquiétude croissante face à la politisation de la politique monétaire et la détérioration de l’équilibre budgétaire des États-Unis ont poussé les investisseurs à se tourner vers ce précieux métal comme valeur refuge.  Depuis le début de l’année, le cours aurifère a franchi la barre des 3 600 USD l’once troy et, dans la foulée, atteint sa valeur corrigée de l’inflation la plus élevée depuis 1980. Nous tablons sur un cours moyen légèrement supérieur à 3 278 USD en 2025, puis sur une augmentation modérée à un peu moins de 3 469 USD en 2026 en raison du climat persistant de volatilité.

Maintenant cap sur la Chine, sans doute le joueur le plus scruté de la partie de Jenga. Dès les premiers tours de la partie, on a pu voir les blocs s’empiler de façon précaire alors que les tensions commerciales avec les États-Unis atteignaient leur paroxysme. Aujourd’hui, les droits de douane sur les exportations chinoises étant passés d’un sommet vertigineux de 145 % à un niveau bien plus modéré de 30 %, une partie de la tension s’est relâchée. Cela suffira-t-il à stabiliser l’édifice chinois? Sans doute dans une certaine mesure, mais les décideurs savent que la partie est loin d’être gagnée. Le manque de tonus du marché intérieur et la réorientation rapide des exportations obligent la Chine à concentrer ses efforts sur la préservation de sa structure. Avec une croissance attendue de 4,8 % en 2025, puis de 4,3 % en 2026, la structure de la tour chinoise devrait rester intacte, du moins pour l’instant.

De l’autre côté de l’Atlantique, la zone euro s’accommode depuis un bon moment d’un équilibre plus précaire que les États-Unis. Toutefois, le renouvellement des emprunts ainsi que les investissements dans la défense et les infrastructures apportent un surplus de stabilité. Forte d'un ambitieux plan de relance budgétaire, l'Allemagne a renforcé son assise tandis que la France, menacée par l’instabilité politique et les remaniements gouvernementaux, demeure fragile. Dans l’ensemble, ce bloc économique devrait croître à un rythme de 1,2 % en 2025 avant de modérer la cadence à tout juste 0,8 % en 2026. Une progression stable, mais pas à l’abri des secousses.

De nombreux pays ont conclu des accords commerciaux avec les États-Unis. C’est le cas du Brésil et de l’Inde, qui doivent pourtant aujourd’hui composer avec des droits de douane de 50 % sur leurs exportations vers le marché américain. Heureusement, ces deux pays sont peu dépendants du marché américain et profitent d’une conjoncture nationale stable si bien que leurs assises semblent suffisamment solides pour éviter un effondrement.

Conclusion : quelles sont les perspectives pour le commerce international dans un contexte de tensions grandissantes?

À l’image d’une partie de Jenga aux enjeux élevés, l’économie mondiale est plongée dans un délicat jeu d’équilibre où les actions de chaque joueur sont scrutées à la loupe. Certes, certains pays ont réussi à retirer avec dextérité certains blocs, que ce soit en négociant des réductions tarifaires ou étayant leur structure. Malgré cette accalmie passagère, la situation précaire de certains laisse poindre à l’horizon de nouveaux rebondissements dans la partie.

En 2026 et par la suite, les exportateurs canadiens devront faire montre d'une grande adresse. Il leur faudra continuer la partie tout en gardant à l’esprit que chaque tour de jeu présentera des occasions et des risques. Et dans une partie de ce genre, chaque mouvement compte… Alors que vous vous apprêtiez à bouger une pièce ou envisagiez seulement de le faire, maîtrise et souplesse seront les maîtres mots. En vérité, dans ce jeu, la résilience et l’adaptabilité sont les seules stratégies gagnantes.

Pour une analyse approfondie de l’évolution de la dynamique de l’économie mondiale, des taux d’intérêt et des devises ainsi qu’un portrait des divers marchés, nous vous invitons à parcourir la plus récente édition des Perspectives économiques mondiales des Services économiques d’EDC. Il s’agit d’une publication incontournable pour les exportateurs canadiens cherchant à mieux composer avec l’incertitude.

Reconnaissances

Nous tenons à remercier chaleureusement Ross Prusakowski, économiste en chef adjoint et directeur du Centre d’information économique et politique d’EDC, pour sa contribution à la présente chronique.

N’oubliez pas que votre avis est très important pour les Services économiques d’EDC. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer à l’adresse economics@edc.ca et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future.  

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Date de modification : 2025-10-16