Ces jours-ci, le débat entourant les perspectives mondiales se concentre surtout sur la nature divergente des préoccupations aux États-Unis et en Europe. La guerre en Ukraine menace les livraisons d’énergie vers l’Europe, mine la confiance et remet en question la capacité du vieux continent à rétablir la croissance et la stabilité. De l’autre côté de l’Atlantique, les tensions inflationnistes dépassent de loin les craintes d’un repli de la croissance – du moins pour le moment – et on se demande si la Réserve fédérale américaine a la capacité de réussir un « atterrissage en douceur ». 

Ce qui est sans doute moins apparent, c’est qu’une bonne partie de l’économie mondiale est confrontée à des inquiétudes de nature plus existentielle. En effet, plusieurs économies moins développées sont frappées par des augmentations du prix des aliments et des carburants, alors même qu’elles sortent à peine de la crise économique induite par la COVID-19. 

Étant donné que la Russie contribue à environ 12 % de la production pétrolière mondiale et à plus de 16 % de celle du gaz naturel, la situation en Europe orientale continue de maintenir les cours de l’énergie à des niveaux supérieurs. Fait à noter, les cours des produits agricoles de base sont plus élevés cette année en raison de l’importance des exportations de céréales et d’autres matières premières essentielles, comme les engrais, en provenance de la mer Noire. Parce que la guerre impacte le calendrier des plantations et les rendements pour l’an prochain, ce contexte risque de perdurer. 

Le prix élevé des aliments et de l’énergie est générateur de fortes tensions dans plusieurs pays moins développés où ces deux postes de dépenses représentent une part plus substantielle du revenu total des ménages que dans les économies développées. Rappelons-nous que bon nombre de ces économies affichaient des ratios élevés de la dette au début de la pandémie, et qu’elles sont sorties de cette crise avec une marge de manœuvre réduite. Pour ne rien arranger, elles ont gonflé leur déficit budgétaire et adopté des politiques monétaires non conventionnelles. 

Pour ces pays qui subissent déjà un stress financier, ce choc imprévu pose un risque de crédit additionnel dans un environnement déjà serré. Il vient aussi assombrir les perspectives d’une robuste reprise après la pandémie et complique les efforts pour stabiliser les paramètres de la dette.

Par ailleurs, les risques d’agitation sociale s’accentuent en raison d’une insécurité grandissante sur les fronts alimentaire et énergétique ainsi que des mesures prises par les régimes en place pour contrer les effets de l’inflation. D’ordinaire, la montée du prix des produits de première nécessité provoque de l’instabilité politique. Par exemple, en Iraq, la population a manifesté contre le prix du pain tandis qu’au Kazakhstan la hausse des prix du carburant en janvier a provoqué des manifestations contre le gouvernement. Au Pérou, de vastes manifestations au départ organisées pour s’opposer à la flambée du prix des engrais et des carburants se sont transformées en violentes manifestations antigouvernementales.


Quelles économies sont les plus à risque?

Les Services économiques d’EDC ont classé les pays en développement les plus vulnérables en fonction de leur dépendance aux importations alimentaires et de carburants. La région de l’Afrique subsaharienne occupe la tête de ce classement. Parmi les pays les plus vulnérables, on compte le Bénin, São Tomé et Príncipe, la Mauritanie, le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Zimbabwe et le Mozambique.

La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord importe plus de 50 % de son blé, de ses céréales et de son orge de l’Ukraine et de la Russie. Les principaux importateurs du blé russe et ukrainien sont l’Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie. Le Yémen et le Liban font aussi partie de la liste des pays exposés à l’onde de choc actuelle. De fait, ces pays doivent gérer des ratios déjà élevés de la dette publique au produit intérieur brut (PIB) et leur gouvernement respectif dispose de moyens limités pour atténuer le choc. 

D’autres pays sont vulnérables : notamment le Sri Lanka et le Pakistan – en raison de leur dépendance aux importations de carburants – ainsi que l’Indonésie et la Turquie – qui sont parmi les premiers importateurs de blé de la planète. Du côté des marchés de la région des Antilles, les petites économies des îles de la Barbade et de la Jamaïque sont d’importants importateurs de carburants et ressentent déjà l’impact négatif de la pandémie sur les revenus essentiels tirés de l’activité touristique. 

Conclusion?

Les préoccupations relatives à la sécurité alimentaire et énergétique, soulevées par la guerre en Ukraine, risquent de pousser encore plus dans la pauvreté des millions de personnes et de plonger des douzaines de pays dans une crise de la dette. C’est un fait indéniable : les cours actuels profitent à plusieurs marchés exportant des matières premières; toutefois, le maintien de prix élevés pour les aliments et les carburants fera plus de perdants que de gagnants dans les pays en développement et pourrait générer de nouvelles sources d’instabilité dans les sphères économique et politique. C’est dans ce contexte que la Banque mondiale a annoncé la création d’un fonds d’urgence de 170 milliards de dollars à l’intention des marchés touchés, un soutien plus important que celui accordé durant la pandémie. Souhaitons que la situation de ces victimes moins apparentes retienne davantage l’attention avant qu’il ne soit trop tard. 

Cette semaine, nous exprimons des remerciements tout particuliers à Susanna Campagna, conseillère principale au sein des Services économiques, ainsi qu’à Daniel Benatuil, économiste principal.

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