Le recrutement et la fidélisation sont des piliers de la stratégie de croissance de votre entreprise. Le taux d’inemploi au Canada n’a jamais été aussi bas : les employeurs doivent donc se livrer une chaude lutte pour trouver et garder les employés qui ont les compétences recherchées. Cela dit, une étude de l’agence de placement Hays Canada fait observer qu’il y a une désynchronisation entre les demandes des employés et l’offre des employeurs. Rowan O’Grady, président de Hays Canada, nous explique comment être plus compétitifs lorsqu’il est question d’attirer et de fidéliser les talents.

Que pouvez-vous nous dire sur l’état de la croissance de l’emploi au Canada?

Chaque année, nous réalisons un sondage auprès de plus de 3 500 gestionnaires d’embauche pour diverses fonctions dans de nombreux secteurs. Nos questions portent sur la fidélisation des employés, la rémunération, la confiance et les défis rencontrés par les employeurs. Nous avons noté que la confiance est élevée en 2018 : la majorité des directeurs interrogés voient d’un bon œil la situation économique canadienne. Une grande proportion d’entreprises prévoient augmenter leur effectif cette année, tant au chapitre des employés que des consultants. Comparativement aux trois dernières années, le nombre d’entreprises à la recherche d’employés temporaires et d’entrepreneurs a triplé en 2018.

Pour les employeurs, quelles sont les conséquences d’un marché du travail concurrentiel lorsqu’il est question de fidéliser leurs employés actuels?

Aujourd’hui, je crois que les employeurs ne prennent pas suffisamment au sérieux les départs des employés en raison d’offres plus intéressantes. Les candidats savent que les occasions pleuvent sur ce marché de l’emploi en pleine croissance et que si jamais ils ne sont pas bien payés ou bien traités, ils n’ont qu’à partir et trouver mieux. Bien des employeurs croient que ce problème ne les concerne pas : « Je ne leur ai pas donné d’augmentation l’année dernière et il n’y a pas eu de problème, alors je peux faire la même chose cette année ». Toutefois, ce n’est pas si simple.

L’un de nos récents sondages, « What People Want », a révélé ce que les candidats recherchent chez un employeur. Nous avons observé une croissance régulière de l’insatisfaction des gens envers leur emploi actuel. De plus en plus d’employés disent être prêts à changer d’emploi si jamais la bonne occasion se présentait. Pendant de nombreuses années, ce taux oscillait autour de 75 %. Aujourd’hui, 90 % des personnes interrogées se sont dites ouvertes à un changement d’emploi.

Les employeurs doivent tâter régulièrement le pouls de leurs employés et tâcher de pouvoir répondre à leurs demandes, qui évoluent au fil du temps.

Les employeurs peuvent-ils offrir de meilleurs salaires pour retenir leurs employés?

Oui, mais il y a un écart entre les besoins exprimés par les employeurs qui veulent garder leurs employés et les concessions qu’ils sont prêts à faire pour y parvenir. Nous avons obtenu beaucoup de réponses positives de leur part : l’économie va bien, les transactions vont bon train, nous allons engager plus d’employés permanents et contractuels… Mais lorsqu’on leur demande quels sont leurs plans pour fidéliser leurs employés, le positivisme s’effrite. Ces quatre dernières années, on remarque qu’il y a de moins en moins d’entreprises qui offrent des augmentations de salaire d’au moins 3 %.

Pourtant, nous savons que 40 % des employeurs sont prêts à contourner les directives salariales pour engager de nouveaux talents. C’est un problème, car ils suivent dorénavant deux approches de rémunération différentes. Les employeurs doivent investir annuellement plus de 1,5 % dans leur effectif actuel, ce qui est très modeste et ne tient pas compte de l’inflation. Vous avez le droit d’offrir un salaire 15 % plus élevé que la moyenne pour attirer des talents hautement qualifiés dans votre entreprise, ce qui est très compétitif, mais à condition d’offrir la même chose à vos employés actuels.

Les employeurs peuvent-ils être plus compétitifs sans hausser la rémunération?

Oui. Parmi les principaux facteurs qui encouragent les employés à rester ou les poussent à partir, notons les occasions d’avancement et la formation continue. Lorsque les candidats réfléchissent à leur carrière et à leur perfectionnement professionnel, ils rêvent de variété, de changement, de défis, et veulent apprendre tous les jours.

Les employeurs font souvent l’erreur de limiter l’avancement professionnel aux promotions ou aux augmentations de salaire. Toutefois, ce sont en fait les occasions d’apprendre qui font pencher la balance. Les employés veulent sentir qu’ils progressent et que leur employeur croit en leur potentiel. Les employeurs doivent donc placer la formation au centre de leur stratégie de croissance du personnel. Parfois, offrir aux employés la chance de côtoyer un mentor d’expérience, peut-être un supérieur duquel ils pourraient apprendre, peut vous être d’un grand secours pour augmenter leur satisfaction. Selon notre sondage, les candidats veulent relever de nouveaux défis, s’attaquer à des projets novateurs ou collaborer avec de nouvelles équipes. Si les entreprises appliquent certaines de ces mesures, leurs employés seront plus heureux et plus loyaux envers elles.

En pratique, comment les entreprises peuvent-elles offrir de l’avancement professionnel sans casser leur tirelire?

Bien souvent, il n’est pas nécessaire d’aller chercher de la formation à l’extérieur. Les entreprises les plus prospères mutent leur personnel. Les employés conservent peut-être leur échelon et leur salaire, mais ils essaient de nouvelles choses ou obtiennent de nouvelles responsabilités, ce qui leur permet de prendre un nouveau départ. Cette approche ne coûte rien ou presque, mais elle requiert une certaine préparation : les directeurs et les dirigeants doivent avoir un rôle de mentor pour les employés actuels de l’entreprise.

Il importe également de communiquer les plans de relève et de croissance aux employés. Notre étude a démontré que 60 % des entreprises canadiennes n’ont pas de plan de relève. Or, nous voulons tous savoir ce que l’avenir nous réserve. Établir un plan de relève qui précise que d’ici cinq ans, l’entreprise devrait atteindre une certaine taille et qu’elle aura besoin de trois vice-présidents et de cinq directeurs supplémentaires parmi ses employés peut changer complètement la situation. Faites savoir aux employés que vous êtes prêts à investir dans leur avenir et à les aider à se perfectionner.

Quel conseil pouvez-vous donner aux entreprises qui peinent à trouver les bons talents pour affronter la concurrence dans l’économie actuelle?

Il s’agit là d’un gros problème, et pour beaucoup, il revient au gouvernement et aux établissements d’enseignement de le régler. Cependant, les employeurs ont aussi leur part de responsabilité : ils doivent veiller à ce que leurs employés aient les bonnes compétences pour le marché de l’emploi d’aujourd’hui et de demain. Certaines entreprises hésitent à dépenser pour former leurs employés, car elles craignent que ceux-ci mettent les voiles dans quelques années. Mais à bien y penser, ça vaut la peine de prendre ce risque.

Les employés veulent progresser dans leur carrière. Dans une petite entreprise, financer des formations pour que les employés se sentent valorisés et se perfectionnent pourrait être beaucoup moins onéreux qu’une augmentation annuelle de 3 %, sans oublier que cela les encouragera à rester plus longtemps à bord. De plus, ils pourront même former d’autres employés au sein de l’organisation, renforçant ainsi l’effectif dans son ensemble.

Trois conseils pour devenir plus concurrentiel

1. Prenez soin des employés que vous avez déjà.

Il est beaucoup plus rentable de s’occuper de votre personnel que de le remplacer. Pensez à offrir des augmentations de salaire annuelles et des primes de rendement, mais aussi à investir dans la formation et le perfectionnement. Consultez vos employés pour savoir ce qui les rendrait heureux afin qu’ils ne se retrouvent pas parmi les 90 % qui se disent prêts à partir dès que l’occasion se présente.

2. Misez sur le potentiel et sur l’expérience.

Trop souvent, les descriptions de poste se concentrent sur la fonction. Dans l’environnement actuel, il est important d’engager des candidats polyvalents. De nos jours, les milieux de travail évoluent si rapidement pour suivre l’essor des technologies et le rythme effréné du commerce mondial qu’un ensemble de compétences en particulier peut devenir désuet avant même que le candidat soit bien installé dans son nouveau poste. Lorsque vous rédigez une description de poste ou que vous menez des entrevues, repérez les compétences transférables et les indicateurs d’aptitudes comme la passion, la communication et le désir d’apprendre.

3. Harmonisez la réputation de l’employeur à celle de l’entreprise.

Nous savons depuis longtemps que les RH ne doivent pas travailler en vase clos. Vos employés doivent être des ambassadeurs de votre entreprise. Les meilleurs employeurs savent que le recrutement doit être intimement lié à la stratégie de marque de l’entreprise. Quelles émotions cherchez-vous à évoquer quand vous vendez votre produit ou service? Qu’est-ce qui rend votre entreprise unique? Votre stratégie de recrutement doit être harmonisée à votre stratégie de croissance. Traitez vos employés et les candidats comme vos meilleurs clients.