Afin de devenir de vraies innovatrices, les entreprises doivent placer l’innovation à l’avant-plan de leur stratégie de croissance. Mais en pratique, comment ça fonctionne?
Paul Lem, fondateur et chef de la direction de Spartan Bioscience, nous présente comment son entreprise a misé sur l’intégration de l’innovation pour devenir une référence mondiale en matière de diagnostics médicaux et d’autres domaines.
D’un point de vue opérationnel, se mettre à la place du client est la meilleure façon d’aborder l’innovation. Parfois, l’innovation se trouve dans l’amélioration d’un produit – le vôtre ou celui d’un concurrent – qui est déjà sur le marché. Dans le cas de Paul Lem, il s’agissait d’utiliser les connaissances scientifiques pour créer quelque chose de tout nouveau. Il avait cependant une idée claire du problème (ou du défi) auquel il voulait s’attaquer.
Lorsque des scientifiques ont terminé en 2003 le séquençage du génome humain, des sociétés de renommée mondiale telles que GE, Canon, MIT, Harvard et Stanford ont commencé à investir des fonds et des ressources afin d’être les premières à mettre au point une technologie qui pourrait exploiter le potentiel de diagnostic de l’ADN. Ayant participé au projet sur le génome de Stanford en tant que médecin, M. Lem savait très bien ce qui était en jeu.
« Je m’interrogeais souvent sur les réels besoins des médecins et des patients, raconte-t-il. Un jour, les gens voudront un accès instantané aux tests d’ADN. Je me suis dit que j’avais autant de chances qu’un autre de réaliser ce projet. »
« À la base, nous voulons tous avoir accès à des renseignements médicaux, et ceux-ci sont intimement liés à l’ADN. Mais la concurrence était féroce. »
2. Aborder le problème de façon unique
Il n’est pas toujours facile de faire concurrence aux grosses pointures bien établies. Les petites entreprises peuvent toutefois obtenir un avantage concurrentiel lorsqu’elles font appel à l’innovation pour s’attaquer à un problème avec un œil nouveau.
Lors des projets sur les diagnostics basés sur l’ADN, la majorité des institutions de recherche et des entreprises ont concentré leurs efforts sur la création d’une puce à ADN, un dispositif utilisant la technologie des semi-conducteurs en silicone. M. Lem a adopté une approche différente.
« Plusieurs croyaient qu’avec suffisamment d’argent et de gens, elles finiraient par trouver une solution, ajoute-t-il. Mais nous nous disions qu’à Ottawa, nous n’avions pas les moyens de nous offrir un labo de pointe. De plus, la puce serait beaucoup trop chère, et nous ne pourrions pas l’adapter pendant plusieurs années. »
« Nous avons donc décidé de nous tourner vers la chimie et de sortir les tests génétiques des laboratoires en créant un analyseur d’ADN portatif et personnel. »
En ayant d’abord une idée claire du problème à régler et en choisissant une solution, Paul Lem a pu mettre en branle le processus de création.
3. Débuter par des développements progressifs
L’innovation découle rarement d’un simple coup de génie. Dans le monde des affaires, elle exige un flot continu d’hypothèses, de tests et d’expérimentations. Vous devez vous attendre à échouer à plusieurs reprises avant de faire de modestes progrès. Éventuellement, vous pourriez obtenir un produit intéressant, mais de nombreux tests et ajustements seront encore nécessaires.
Spartan Bioscience : un test d’ADN au creux de votre main
En 2015, lorsque la petite entreprise de Paul Lem a réalisé l’une des plus grandes percées des dix dernières années dans le monde des sciences médicales, l’heure n’était pas à la célébration. L’équipe de Spartan Bioscience avait conçu un appareil portatif pouvant prélever et analyser l’ADN instantanément, mais selon M. Lem, tout s’est fait sans tambour ni trompette et sans que personne ne crie « Eureka! ».
Son équipe avait livré pendant dix ans une course mondiale vers la commercialisation, contre plus de 200 entreprises, afin de créer le premier analyseur d’ADN instantané.
M. Lem savait depuis le début qu’il n’atteindrait pas sa cible avant plusieurs années, et il a dû mettre cartes sur table pour convaincre les investisseurs et les employés. L’innovation soutenue par son équipe résidait dans chacun des infimes progrès. Au-delà de la décision de breveter son produit il y a quelques années, M. Lem n’arrive même pas à déterminer la date ou l’heure exacte de la « naissance » de son appareil.
« Nous avons souligné les étapes importantes comme la création de nouvelles applications ou des prochaines générations de notre produit. Nous sommes rendus à la quatrième, révèle-t-il. Mais ce genre de recherche ne se conclut pas sur une épiphanie. Nous avons été plongés dans notre travail pendant plusieurs années et nous le serons encore pour les années à venir. Cette approche progressive de l’innovation demande beaucoup d’engagement et de patience. »
Le pouvoir des tests d’ADN à la portée de tous
Il est facile de se laisser emporter par la recherche et le développement pendant plusieurs années en oubliant l’objectif final, mais selon Paul Lem, il est toutefois essentiel de garder le client en tête lors de la création d’un produit commercialisable.
« Dès le départ, nous avons intégré l’innovation à la stratégie de croissance de notre entreprise. Nous ne voyions pas l’intérêt de nous lancer dans de longues et fastidieuses recherches pour finalement obtenir un produit non commercialisable. »
« Si vous ne trouvez pas de marché pour votre produit, il est toujours possible d’en créer un nouveau », ajoute M. Lem.
Spartan a adopté les principes de « l’innovation de rupture »
Même si Spartan était en concurrence avec d’imposantes sociétés, elle s’est fixé comme objectif de créer un outil de diagnostic qui serait prisé des consommateurs en dehors du milieu hospitalier.
« Nous croyons fortement en l’innovation de rupture, déclare Paul Lem. Si l’on veut perturber réellement un marché, créer quelque chose ne suffit pas. »
« L’innovation de rupture signifie prendre une technologie existante et créer de nouveaux utilisateurs nets en la rendant plus abordable ou plus simple d’utilisation. »
Des tests d’ADN accessibles en tout temps
Au lieu d’imiter ses concurrents et de créer une solution de laboratoire destinée uniquement aux professionnels de la santé, Spartan a décidé de créer un produit que Paul Lem appelle « le Xbox de l’ADN ».
« Notre vision était de construire une “console de jeux”. Les clients viendraient ensuite nous dire à quoi ils aimeraient jouer. En créant un appareil portable et en attirant de nouveaux utilisateurs nets, nous savions que notre produit serait instantanément adaptable. »
Le Spartan Cube a la taille d’une tasse de café. C’est le « plus petit appareil de diagnostic moléculaire au monde »
Paul Lem voulait concevoir un produit ayant de multiples utilités. La croissance continue de son entreprise tourne autour de l’idée que le Spartan Cube peut être adapté afin d’être utilisé dans de nombreux domaines en dehors de la médecine.
Les clients sont souvent de grosses entreprises pharmaceutiques, des gouvernements et des institutions médicales. Ils décrivent le « jeu » qu’ils aimeraient avoir – un test d’ADN –, et l’équipe de Spartan tâche de le mettre au point.
Parmi ses applications les plus populaires sur le marché mondial, Spartan offre un test pour le métabolisme des médicaments homologué par la FDA, qui est aujourd’hui utilisé par la Mayo Clinic pour mener les plus importants tests génétiques dans le domaine de la cardiologie. Ce test est utilisé pour dépister un gène porté par 30 % de la population mondiale pouvant interférer avec le traitement pharmaceutique à la suite d’une chirurgie cardiaque. Ce test est essentiel, car la combinaison de médicaments peut être fatale pour les porteurs de ce gène.
L’année dernière, à la demande d’un client pharmaceutique, l’équipe de recherche et de développement a mis au point, après 18 mois de travail, un test pour des essais cliniques sur des patients atteints d’Alzheimer. Le test permet d’identifier les mutations d’un gène associé à un risque accru d’apparition tardive de cette maladie.
Depuis février 2018, le Spartan Cube peut désormais dépister une bactérie mortelle appelée Legionella, ce qui est très utile pour les propriétaires de grands édifices comme des immeubles en copropriété, des tours de bureaux ou des hôtels.
« Nous recevons des appels chaque semaine de la part d’organisations partout dans le monde à propos de nouvelles utilisations pour notre analyseur d’ADN portatif, se réjouit M. Lem. Notre but a toujours été de créer un produit adaptable. »
6. Les gens sont au centre de l’intégration de l’innovation : une question de culture
Spartan a rassemblé dans son équipe les plus grands experts de plusieurs secteurs comme la médecine, la biologie, le matériel informatique et les ventes.
Selon M. Lem, il est plus important de s’entourer des bonnes personnes que de se contenter d’injecter de l’argent dans la R-D. Jonathon Donaldson, le fondateur de Car Canada, est aujourd’hui le chef du développement des affaires de Spartan, et la majorité des membres de la haute direction sont des experts techniques.
« Ottawa présente un gros avantage : la ville foisonne de talents en matériel informatique grâce aux pionniers des télécommunications comme Nortel. Nous avions déjà des pros de la chimie, alors nous sommes partis à la chasse des meilleurs talents techniques en ville. »
Il est essentiel d’avoir une vision claire de vos objectifs dès le départ, mais Paul Lem encourage également son équipe en cours de route à :
- prendre des risques;
- tirer parti des échecs;
- reconnaître et célébrer les petites réussites;
- être créatif.
« Mon équipe est très autonome. Nous lui avons présenté une vision convaincante de nos objectifs, et elle peut constater directement le fruit de son travail. Résultat : nous avons une équipe de 80 personnes qui se dévouent à notre cause et à ce projet. »
7. L’argent, c’est important
Les entreprises qui se concentrent sur l’innovation doivent être prêtes à la soutenir financièrement. Paul Lem a passé ses années pré-entrepreneuriales à organiser rencontre après rencontre avec des sociétés de capital-risque dans toute l’Amérique du Nord. Il devait réussir à leur vendre l’idée que, même s’il parvenait à devancer ses concurrents et à créer un analyseur d’ADN, il ne pourrait pas commercialiser un produit viable avant au moins une dizaine d’années.
« C’était loin d’être gagné d’avance, se souvient-il. En 2005, nous avons encaissé notre premier chèque de 500 000 $, et j’ai quitté mon emploi pour investir tout mon temps dans Spartan. »
Au fil des années, Paul Lem a continué à chercher des investissements et d’autres sources de financement en compagnie de son frère John, un gestionnaire de fonds spéculatifs. En 2010, il a reçu une bourse d’excellence de 200 000 $ en remportant le Prix Catalyseur décerné au meilleur jeune innovateur et remis par le premier ministre ontarien. En 2013, alors que Spartan s’apprêtait à enfin mettre au point sa première génération d’outil de diagnostic, le géant de l’industrie Canon s’est retiré de la course à la recherche mondiale afin de soutenir financièrement l’entreprise de M. Lem.
Lorsqu’on lui a demandé pourquoi l’un de ses plus grands adversaires s’est rangé à ses côtés, il a répondu que « des chercheurs essaient encore à créer quelque chose de similaire, mais au bout du compte, tout le monde espère voir ce produit sur le marché ».
Les nouvelles applications de l’outil de diagnostic médical de Spartan attirent de nouveaux utilisateurs nets
Lorsque Spartan a entrepris de créer un appareil de diagnostic, les chercheurs voulaient mettre au point quelque chose qui plairait aux clients au-delà de la communauté médicale. Ce nouveau marché cible a guidé l’élaboration de leur stratégie d’innovation en leur offrant une vision claire de la taille, des caractéristiques et de la qualité marchande du produit.
En février 2018, Spartan Bioscience a fait les manchettes grâce à la toute nouvelle application de son analyseur d’ADN : un test instantané pour les dépister la Legionella. Cette bactérie transmise par les gouttelettes d’eau est responsable de la maladie du légionnaire, une pneumonie grave qui peut être mortelle.
Le test pour la Legionella est le « tout nouveau jeu pour la console Spartan Cube », plaisante M. Lem.
La Legionella est souvent présente dans les grands édifices – les tours de bureaux, les immeubles en copropriété et les hôtels – ayant des tours de refroidissement et des fontaines d’eau. En 2012, 14 personnes sont mortes et 167 ont été gravement malades après avoir été exposées à cette bactérie dans un édifice public de la ville de Québec.
En 2017, le gouvernement fédéral a financé une étude pour comparer l’efficacité de l’analyseur d’ADN de Spartan à celle des méthodes de détections traditionnelles, qui étaient généralement réservées aux scientifiques et aux techniciens.
Le Spartan Cube a surpassé les attentes.
Les chercheurs ont découvert que la méthode traditionnelle d’échantillonnage de la Legionella, où des scientifiques rapportent une culture dans un laboratoire pour la placer en incubation pendant deux semaines dans une boîte de Petri, avait 60 % de chance de produire un faux négatif.
« Cela veut donc dire que six fois sur dix, une analyse de la boîte de Petri conclurait que l’échantillon ne contient aucune trace évidente de Legionella, alors qu’en réalité, cette bactérie dangereuse et potentiellement mortelle est bien présente, prévient M. Lem. Dans 10 % des cas de légionellose qui demandent une hospitalisation, la personne atteinte en meurt. »
Le Spartan Cube offre des résultats instantanés beaucoup plus précis. Les tests menés pendant plusieurs mois ont démontré que 39 % des 51 bâtiments fédéraux équipés d’un tour de refroidissement étaient suffisamment contaminés par la Legionella pour exiger une modification du calendrier de l’entretien. Parmi les tours analysées, quatre présentaient une culture de bactérie dix fois supérieure à la limite réglementaire.
« Grâce à cette étude, nous avons obtenu de très bons commentaires de la part des utilisateurs. »
Ces commentaires sont importants pour Paul Lem, car son équipe cherche à continuellement améliorer son produit pour répondre à la demande des consommateurs.
Trois des plus grands propriétaires d’immeuble du Canada ont déjà approché Spartan pour requérir l’utilisation de l’appareil.