Le flot presque quotidien de mauvaises nouvelles à de quoi démoraliser. Je pense ici à la crise actuelle du coût de la vie, à la pénurie alimentaire mondiale, à l’absence de croissance du revenu réel, à la détérioration de la dynamique de la dette, aux effets du changement climatique, aux troubles sociaux et à la guerre, entre autres. Le tableau est morose, surtout pour les marchés en développement et frontière. Ce constat s’applique aux 54 pays de l’Afrique, dont plusieurs sont confrontés à bon nombre des grands défis de l’heure.

L’année 2023 s’annonce, en quelque sorte, comme une épreuve de vérité pour le continent africain. Alors qu’ils subissent des tensions simultanées sur de multiples fronts, plusieurs pays d’Afrique risquent-ils de perdre les gains qui les ont aidés à s’imposer comme des marchés concurrentiels? Ou bien s’agit-il plutôt d’un autre « test de résilience » pour un continent qui a prouvé, à maintes reprises, qu’il peut garder le cap et prospérer en dépit d’une conjoncture difficile?

Le temps nous le dira. À l’heure actuelle, plusieurs des grandes économies – l’Europe, la Chine et les États-Unis, par exemple – mettent les bouchés doubles pour resserrer, à une cadence accélérée, leurs liens avec l’Afrique. Les exportateurs canadiens gagneraient donc à examiner de plus près les occasions qui continueront de se présenter en Afrique malgré la présence de risques manifestes.

Et les tensions sont bien réelles. Le continent reste aux prises avec des problématiques de longue date comme les inégalités de revenu, les déficits du capital productif et un fardeau de la dette insoutenable. Parallèlement, aucun nouveau progrès n’a été fait sur les plans de la santé, de l’emploi et de l’éducation en raison de la pandémie, d’une inflation persistante et généralisée, et du spectre d’une récession mondiale. À ce portrait s’ajoute le recul des avancées difficilement réalisées en matière de démocratie à la suite de plusieurs coups d’État et tentatives de coup d’État sur certains marchés, et la montée de l’autoritarisme dans une poignée d’autres.

Ce contexte a des effets notables. Dans plusieurs pays africains, l’investissement – direct, de portefeuille ou sous la forme d’envois de fonds – n’est pas encore revenu aux niveaux d’avant la pandémie. Les tensions ainsi exercées sur les devises ont exacerbé les difficultés engendrées par l’inflation. Certaines devises ont perdu de 20 à 50 % de leur valeur face au dollar en 2022, ce qui a plombé le budget des ménages et des entreprises d’Afrique. Les gouvernements africains n’ont pas été épargnés : les programmes d’aide destinés à amortir le choc de la pandémie et la flambée de l’inflation qui a suivi ont fait s’envoler les coûts de la dette et du service de la dette.

Aujourd’hui, plus de 22 gouvernements africains se trouvent ou risquent fort de se trouver en situation de surendettement, ce qui comprend certains marchés clés jusqu’à tout récemment considérés comme des marchés frontière très attractifs tels que le Ghana, l’Éthiopie, le Kenya et le Nigéria. Il ne faudrait donc pas prendre à la légère la possibilité que des risques systémiques se propagent à tous les secteurs de ces économies.

Pourtant, malgré ces défis, l’Afrique pourrait offrir des débouchés pendant une année qui nous réserve une croissance poussive et même des récessions dans les économies développées. Dans près de la moitié des marchés africains, la croissance prévue dépasse 4 % cette année et l’an prochain; mieux encore, la croissance de certaines économies, notamment du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, devrait compter parmi les plus rapides de la planète.

L’urbanisation massive, attribuable à l’afflux d’une population jeune, éduquée et à l’esprit entrepreneurial, devrait entraîner un déplacement des centres de la demande mondiale. En effet, de 10 à 15 millions de personnes devraient entrer sur le marché du travail chaque année et participer à l’émergence de mégapoles côtières, comme celles qui existent en Chine et en Inde; or, ces mégapoles seront des acteurs de premier plan ayant la capacité de façonner l’économie du 21e siècle. Cette évolution devra s’accompagner d’un niveau correspondant de développement des infrastructures, de construction résidentielle, de distribution alimentaire, d’accès aux biens et aux services de consommation, et bien plus encore.


Déjà, le continent est un pôle de la transformation écologique et numérique. Le continent africain abrite non seulement une part disproportionnée des minéraux critiques nécessaires à la transition verte, mais il sert aussi de plateforme pour le déploiement de solutions novatrices en matière de lutte contre les changements climatiques, notamment dans les domaines de la gestion des récoltes et de l’atténuation des effets liés aux catastrophes naturelles. Sans doute plus que toute autre région du monde, l’Afrique devient un terrain d’expérimentation des monnaies numériques, de l’argent mobile et de la connectivité élargie. De plus, plusieurs incubateurs régionaux en technologie financière et dans la sphère des STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) voient le jour d’un bout à l’autre du continent.

Ces tendances ne feront que s’accentuer à mesure que les retombées de l’ambitieux pacte commercial continental – la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) – se font ressentir et que les obstacles au commerce intrarégional continuent de s’aplanir. Ces développements pourraient, à moyen et à long termes, contribuer à faire de l’Afrique un sérieux concurrent dans les chaînes d’approvisionnement et de valeur mondiales.

Conclusion?

À l’évidence, le continent africain fait face à des défis de taille, mais son potentiel ne doit pas être ignoré vu le climat actuel. De fait, de plus en plus, des secteurs comme le transport, les technologies de l’information et des communications (TIC), la finance et les services professionnels dynamisent la croissance et la demande sur le continent. À cela s’ajoute l’impulsion donnée par des secteurs conventionnels comme l’agroalimentaire et les mines. Une chose est sûre : les exportateurs prêts à gérer la volatilité et les risques à long terme profiteront de nombreux débouchés sur ce marché.

Nos sincères remerciements à Kevin Elliott, analyste des risques-pays au Centre d’information économique et politique des Services économiques d’EDC, pour sa contribution à la présente édition. 

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