Les craintes inflationnistes se sont calmées. Disparues pendant plus d’une décennie, ces craintes ont refait surface à la mi-2018, mais elles semblent maintenant s’être dissipées. Cette situation amplifie les inquiétudes d’une récession. S’il est vrai que nous nous trouvons aux dernières étapes du cycle de l’activité, qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre, des contraintes liées à un manque d’accès aux capitaux et une quantité limitée de matières premières accessibles, alors pourquoi ces éléments ne sont-ils pas détectables dans la trajectoire des prix et à toutes les étapes du processus de production? S’agit-il d’une mini-hibernation ou plutôt d’un long hiver caractérisé par une stagnation des prix?
Que nous révèle l’évolution des prix? Dans l’économie américaine, l’indicateur le plus visible est l’indice des prix à la consommation (ou IPC). D’une année sur l’autre, l’IPC est demeuré relativement stable et est actuellement inférieur à la cible de la Réserve fédérale américaine (la Fed), qui s’établit à 1,8 %. L’inflation de base – qui exclut les secteurs alimentaire et énergétique, plus volatils – est plus élevée à 2,3 %; toutefois, après avoir progressé pendant deux mois, elle a de nouveau ralenti en octobre
L’Europe occidentale constate le même mouvement à la baisse. Dans cette région, tous les éléments de l’IPC ont accusé un repli de 1,1 % en octobre, ce qui a prolongé une glissade d’une durée de six mois pendant laquelle la croissance annualisée était nettement plus robuste, à 1,9 %. Les indicateurs de l’inflation de base restent bien maîtrisés, et s’il y a une préoccupation c’est celle que les conditions actuelles du marché favorisent une trajectoire descendante.
Face à cette situation, les banques centrales de ces deux zones économiques sont intervenues. La Fed a suspendu son programme de resserrement des taux en assouplissant les taux d’intérêt à trois reprises depuis le milieu de l’année. L’Europe, qui prévoyait au départ s’inspirer de la politique américaine, a relevé pour la première fois ses taux après la baisse des prix, si bien qu’aujourd’hui elle remet en place son programme d’assouplissement quantitatif – quoique dans une version plus modérée.
Aux États-Unis et en Europe, les mesures prises ont pour but de s’adapter au récent fléchissement de la croissance. La Fed et la Banque centrale européenne (la BCE) insistent cependant sur un fait : leur action respective ne s’inscrit pas dans un cycle d’assouplissement, mais vise plutôt à contrer les effets du ralentissement de l’investissement – lui-même la conséquence de l’incertitude planant sur le commerce mondial –, ainsi que le gel de l’activité dans la sphère du commerce international. Ces deux banques centrales se préoccupent beaucoup plus du ralentissement de la croissance que des pressions s’exerçant sur l’économie; d’ailleurs, on pourrait se demander si elles n’ont complètement pas oublié le volet économique…
La trajectoire des cours des produits de base est plutôt modérée. Si on fait abstraction des tensions économiques, on dispose d’abondantes réserves pour répondre à toute embellie de la croissance. Cette embellie est-elle probable? Selon la logique privilégiée par les banques centrales, la résolution des grands différends commerciaux – la brouille entre les États-Unis et la Chine et le dossier du Brexit – permettrait d’éliminer les obstacles à la croissance. Pour notre part, nous croyons que ces obstacles sont des entraves majeures et qu’une fois disparues, il y aura une plus grande clarté entourant la poursuite des activités commerciales – et peu de chose pour ralentir l’élan imprimé, sauf peut-être au départ un peu de réticence.
Dans ce contexte, le tableau de l’inflation serait bien différent. Une vague de fonds inutilisés déferlerait sur le marché, ce qui laisserait très peu de jeu sur le front de l’emploi (et sans doute sur tous les fronts). Cette situation étoufferait la demande en capitaux qui, advenant un revirement soudain, se heurterait aux contraintes de capacités. Étant donné que l’utilisation de la capacité avoisine des sommets, il aurait donc peu de marge de manœuvre. La Fed a mis en garde les marchés : ils ne devraient pas présumer qu’un cycle d’assouplissement s’amorce; en fait, ce sont des mesures adaptatives pour répondre à ce qui se révélera une anomalie passagère dans la tenue générale de la demande. À cette étape-ci, la BCE et d’autres banques centrales un peu partout sur le globe seraient délivrées d’un poids si c’était effectivement le cas.
Pour l’heure, ce scénario semble impossible, mais rappelons-nous qu’il y a seulement 18 mois, on s’attendait à une flambée imminente de l’inflation. On le sait : les banques centrales doivent produire ce genre de données bien avant que ces événements aient lieu, et les mesures choisies dans le cadre de la politique monétaire prennent entre 12 et 18 mois avant d’influer sur l’économie réelle. Les augmentations du côté des chiffres de l’inflation se produisent au moment même où on observe les effets des mesures d’assouplissement – ce qui est à l’opposé de ce que souhaitent les banques centrales et n’importe quel acteur économique.
Conclusion?
Sur la question de l’inflation, le scénario de croissance actuel est d’une importance capitale. La conjoncture que nous connaissons, qui semble empreinte de morosité, pourrait rapidement accueillir une activité économique florissante, ce qui ferait monter les prix et pousserait les banques centrales à rattraper du terrain. Espérons qu’à ce moment-là, il y aura assez de capacités économiques en réserve.
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