La défense des politiques commerciales progressistes n’a jamais été aussi importante, a déclaré la commissaire européenne au Commerce lors d’un discours à Ottawa cette semaine.

Cecilia Malmström a précisé ce qu’elle entendait par « politiques commerciales progressistes » et expliqué comment l’Union européenne et le Canada pourraient en adopter une qui soit « efficace, transparente et basée sur des valeurs ». Elle a souligné qu’une telle politique serait avantageuse pour les deux parties, équitable et fondée sur des règles.

« Le commerce ne devrait pas entraîner le nivellement par le bas des normes, ou se faire au détriment de l’environnement », a-t-elle indiqué, en ajoutant qu’il faut inclure dans l’équation la responsabilité sociale des entreprises, l’écotiquetage, le commerce équitable et le recyclage.

« La réussite de l’AECG [Accord économique et commercial global] nous aidera à faire avancer ce dossier. L’accord est un modèle de commerce progressiste prônant des valeurs – un modèle à utiliser pour façonner la mondialisation. »

Mme Malmström a mentionné que les Canadiens vendent déjà à l’Europe l’équivalent de plus de 40 milliards de dollars de biens et de 17 milliards de dollars de services. Nul doute que ces chiffres augmenteront avec l’entrée en vigueur de l’AECG ce printemps : à terme, l’accord éliminera 99 % des tarifs douaniers et ouvrira l’accès à divers marchés, notamment ceux des services et du secteur public.

Par ailleurs, la commissaire a conclu son discours en critiquant vertement l’administration américaine.

« La montée du protectionnisme pourrait menacer les sociétés et les économies ouvertes, qui ont offert liberté et possibilités aux gens en Europe, au Canada et ailleurs dans le monde. À l’heure où certains veulent à nouveau ériger des murs, remettre des obstacles en place et restreindre la liberté de mouvement des personnes, nous sommes ouverts à une approche commerciale progressiste avec le monde. »

Mme Malmström a répondu aux questions de Paul Wells, chroniqueur au Toronto Star, et du public. Voici un aperçu de l’entrevue.

Paul Wells : Le gouvernement précédent, parfois mécontent de la tournure des négociations [entourant l’AECG], a dit que le mandat de la Commission européenne de négocier les modalités commerciales et les compromis nécessaires n’était qu’une façade de courtoisie. Les pourparlers avec l’Union européenne relèvent-ils de l’impossible?

Cecilia Malmström : En général, non. C’est vrai que la Commission a le mandat de négocier, mais sachez que nous représentons 28 pays. Il y a toujours quelque chose qui se passe, notamment des élections, sans compter que nos décisions doivent être approuvées par les 28 pays membres et le Parlement européen.

P. W. : Si le libre-échange existe véritablement, comment peut-il être progressiste? Le commerce ne dicte-t-il pas l’orientation qu’il prend? Dans quelle mesure pouvez-vous contrôler les échanges bilatéraux de grande envergure?

C. M. : Le libre-échange existe bel et bien, mais il y a tout de même un certain encadrement. C’est à ça que servent les accords commerciaux. À établir les règles, à offrir des possibilités et des débouchés, et à supprimer les obstacles et beaucoup de lourdeurs administratives. Il faut toutefois que certaines règles demeurent en place en raison des lois, notamment sur les normes du travail, le travail des enfants et l’environnement. Le libre-échange n’est pas totalement libre.

P. W. : Au Canada, on pourrait avoir l’impression que l’AECG est le dernier grand accord commercial conclu, étant donné la situation entourant le PTCI [Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement] et la fin officielle du PTP [Partenariat transpacifique].

C. M. : Non, il n’est qu’en suspens!

P. W. : Je suis stupéfait de vous entendre nous rappeler que l’Union européenne mène des négociations bilatérales avec de nombreux partenaires commerciaux. Dans la foulée du Brexit et de l’élection de Donald Trump, quel est le contexte commercial mondial actuel?

C. M. : Beaucoup de pays signataires du PTP se sentent maintenant abandonnés. Nous étions [déjà] en pourparlers avec bon nombre d’entre eux, et leur intérêt à l’égard d’un accord commercial avec l’Europe s’est considérablement accru depuis, je dirais, la mi-novembre. Nous négociions déjà avec le Japon, et nous avions signé un accord avec le Vietnam et Singapour. Nous travaillons en ce moment à la préparation d’accords avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Chili, et nous sommes en grandes négociations avec le Mexique.

P. W. : Tout de suite après le Brexit, certains Canadiens estimaient que le pays devrait immédiatement conclure un accord commercial avec le Royaume-Uni. Pourquoi cela ne s’est-il pas concrétisé?

C. M. : Le Royaume-Uni fait encore partie de l’Union européenne, et il bénéficiera donc des avantages de l’AECG. Les membres ne peuvent négocier d’accord commercial bilatéral avec un autre pays. Toutefois, à plus long terme, la conclusion d’une entente entre les deux pays sera très pertinente.

P. W. : Le Brexit a-t-il changé la dynamique au sein de l’Union européenne?

C. M. : Non, pas vraiment au quotidien. Les 27 [autres] pays membres se remettent toujours du choc, mais aucun changement ne s’est encore produit sur le terrain. Nous soulignons le 60e anniversaire du traité de Rome cette semaine, et seuls 27 chefs d’État assisteront aux célébrations.

P. W. : Un autre événement intéressant a eu lieu le 8 novembre. Avez-vous rencontré les membres de l’administration [Trump]?

C. M. : Pas encore, mais je le ferai bientôt. Chaque fois qu’un nouveau gouvernement américain entre en fonction, il faut quelques mois avant que les choses se placent. Dès que les autorités seront prêtes, nous entrerons en contact avec elles.

P. W. : L’administration Trump ne perçoit pas l’Union européenne comme un interlocuteur légitime. Est-ce que cela vous inquiète?

C. M. : L’Union européenne ne figure pas parmi ses priorités. C’est évident sur le plan commercial, vu la situation de l’ALENA et la mort – ou le coma – du PTP. Quant au PTCI, nous avions parcouru un bon bout de chemin, et nous sommes prêts à rouvrir le dossier, s’il le faut.