Avant le début de la pandémie, le chômage se trouvait à un creux de 45 ans. Les doléances sur la pénurie de main-d’œuvre ne visaient pas uniquement les travailleurs qualifiés. En fait, les entreprises étaient désespérées et prêtes à engager, un point c’est tout. Dans mon propos du 20 mai, j’ai abordé la question de la pénurie de capacités. Or, un problème plus important pourrait se faire jour avec le retour en force de la croissance : le manque de main-d’œuvre. La pandémie a temporairement assoupli les conditions, mais le marché de l’emploi se resserre – et les entreprises en ressentent les contrecoups. Le problème est-il aussi grave qu’auparavant? Pourrait-il nous empêcher de profiter d'une poussée imminente de la croissance?

À première vue, le taux de chômage permettrait de dissiper ces inquiétudes. Avant la pandémie, ce taux avoisinait 5,5 %; il a récemment grimpé à 8,1 %. Il y aurait donc une bonne marge de manœuvre. Les cyniques considèrent le rebond partiel de l’activité et se disent rassurés. Après tout, on a regagné seulement 83 % des emplois : on est encore loin du niveau d’avant la crise de la COVID-19. Ces deux énoncés sont vrais, mais ils nous induisent en erreur.

Les progrès du Canada se comparent plutôt bien à ceux des États-Unis. Sur ce marché, le chômage est plus faible, à 6,1 %. Pourtant, ce taux masque une réalité : celle du chômage caché, soit les travailleurs découragés qui ont jeté l’éponge. À vrai dire, les États-Unis ont regagné à peine 67 % des emplois perdus durant la pandémie. Ils leur restent beaucoup de chemin à parcourir avant de se trouver dans notre situation. 

Pour ne rien arranger, au Canada, le marché de l’emploi est généralement serré. Le tableau est encore plus problématique pour les secteurs. Du côté des services professionnels, scientifiques et techniques, le niveau des effectifs est à 106 % par rapport à celui d’avant la crise : il s’agit donc du secteur le plus dynamique. D’autres secteurs ont franchi la barre des 100 % : la catégorie regroupant la foresterie, les pêches, l’exploitation minière et l'industrie pétrogazière a atteint les 105 %; cette catégorie est suivie de près par les secteurs des services financiers et d’assurance ainsi que des services publics, puis par le secteur de la fabrication (à 101 %).


Quand on examine de plus près le secteur de la fabrication, il devient clair que l’impulsion est plus forte dans certains segments. Dans la foresterie, par exemple, le marché de l’emploi est très serré : les filières des produits du bois et du papier ont d’entrée de jeu perdu moins d’emplois; et, fait à noter, les emplois perdus ont été rapidement regagnés. Ainsi, sur le front de la main-d’œuvre, le sous-secteur des produits du bois subit des tensions pour maintenir la cadence avec la construction domiciliaire et les activités de rénovation. Dans le cas des produits du papier, les tensions proviennent des besoins accrus de papier d’emballage, dans la foulée de la transformation du secteur de détail.

On compte d’autres sous-secteurs en effervescence : le matériel électrique, les électroménagers, la fabrication d’aliments, les métaux primaires, les produits chimiques et les pièces de véhicules automobiles. 

Y a-t-il un répit en vue pour les secteurs aux prises avec des effectifs insuffisants? Dans l’immédiat, il n’est pas possible de recourir aux travailleurs migrants; naturellement, la formation des travailleurs prendra plus de temps. La technologie pourrait offrir une solution à court terme, notamment la mécanisation des tâches, là où le nombre de travailleurs a diminué. Les entreprises qui s’engagent dans cette voie prennent une longueur d’avance puisque ce genre d’opération n’est pas simple à réaliser.

Il y a une autre solution : réaffecter les travailleurs œuvrant dans des secteurs ayant du mal à se redresser. Dans le secteur de la fabrication, des segments font toujours face à un chômage élevé : je pense ici à l’aéronautique, au vêtement, à l’énergie et à l’impression. Dans l’économie en général, l’hébergement et les aliments comptent, et de loin, le plus grand nombre de travailleurs déplacés : le niveau des effectifs demeure encore à 70 % par rapport à ceux d’avant la pandémie. Le tableau n’est guère plus brillant dans les filières liées au tourisme comme l’information, la culture et les loisirs. Les services commerciaux et le transport sont dans une situation similaire. 

Réaffecter des travailleurs d’un secteur à un autre est une solution temporaire. La gestion réussie de la pandémie et le déploiement de très généreux plans de relance permettraient aux secteurs les plus touchés de se relever, et du coup, de réengager du personnel. En prévision de ce regain, des entreprises commencent déjà à recruter des talents. 

Le Canada doit composer avec une situation démographique peu favorable, qui a été aggravée durant la pandémie par une nette diminution de l’immigration. Lorsque l’immigration reprendra après la pandémie, nos problèmes structurels en matière de main-d’œuvre persisteront. Nous nous tournerons alors de nouveau vers des solutions pouvant remédier aux problèmes de longue date. La quête immédiate de talents pourrait améliorer les choses, mais il faudra miser sur des solutions ayant un impact durable.

Conclusion?

On constate à nouveau un resserrement des conditions du marché de l’emploi dans certains secteurs de l’économie. C’est encore une fois la course pour recruter des employés qualifiés; les secteurs qui accusent un retard pourraient se faire ravir leurs talents par ceux qui ont le vent dans les voiles. Cette situation sera toutefois temporaire. Les secteurs éprouvés retrouveront leur élan et devront rapidement engager du personnel. Les solutions à long terme demeurent le meilleur moyen de remédier aux problèmes structurels affectant la main-d’œuvre. Des efforts concertés seront donc nécessaires pour faire en sorte que nous disposions d’abondantes capacités de production pendant encore un bon moment. 

 

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