Se mettre en quête des talents techniques spécialisés
Environ 180 000 emplois technologiques devront être pourvus au Canada d’ici 2019, et la vaste majorité d’entre eux resteront vacants, faute de candidats compétents.
Dans ce chapitre
- 3.1 La numérisation des milieux de travail accentue la demande de professionnels des TI
- 3.2 Comprendre la pénurie de talents numériques au Canada
- 3.3. Les entreprises canadiennes innovantes prônent le changement
- 3.4 Une politique canadienne fait tomber les barrières à l’origine de la pénurie de talents numériques
ENCADRÉ D'ÉTUDE DE CAS : Other Ocean Interactive voit grand
Les fondateurs de l’entreprise de logiciels de divertissement Other Ocean Interactive ont choisi le monde comme terrain de jeu. Ces créateurs de jeux vidéo souhaitaient établir un studio d’envergure mondiale à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard. Comme de nombreux entrepreneurs canadiens, ils savaient qu’ils devraient faire preuve de créativité au moment de recruter des talents.
« Il y avait une forte pénurie [de talents technologiques] au Canada atlantique en raison de l’émigration et de l’exode des cerveaux », raconte l’un des fondateurs, Dierdre Ayre, lorsqu’il revient sur le plan de recrutement dynamique de son entreprise. « Nous avons sillonné le monde entier. Nous sommes allés sur le terrain. »
Ayre a vanté les mérites de l’Île-du-Prince-Édouard aux Londoniens et aux Delhiit, notamment l’accès à la propriété et un partenariat créatif unique avec les universités locales. Malgré la perte de son directeur artistique au profit d’un de ces établissements, Other Ocean Interactive continue à adhérer à un collectif d’entreprises créatives, bien déterminées à faire venir des professionnels des TI dans l’île.
Il serait aujourd’hui difficile de trouver une entreprise qui fonctionne sans l’aide des technologies numériques. L’intelligence artificielle, les chaînes de blocs et les monnaies électroniques, la gestion des ressources humaines, ou encore l’automatisation des espaces de travail rendent ces outils essentiels aux activités d’organisations de toute taille et de tout secteur. Les innovations technologiques sont décisives pour la compétitivité du commerce de détail, des soins de santé, des services gouvernementaux et de la fabrication, accentuant la demande de travailleurs aux compétences numériques pointues. Cela a conduit à un paradoxe intéressant pour les employeurs canadiens. Ils ont d’une part besoin de la main-d’œuvre transfonctionnelle décrite plus haut. D’autre part, l’accès à des travailleurs hautement qualifiés, et parfois ultraspécialisés, en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STIM) est devenu un facteur déterminant de la compétitivité au Canada et à l’étranger.
Le Canada se targue d’un secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) dont la valeur annuelle est estimée à 74 milliards de dollars.20 La capacité du Canada à former des professionnels des TI est aussi impressionnante. Nous disposons d’universités et de collèges de pointe qui forment des légions d’ingénieurs, de concepteurs et d’architectes de systèmes d’information. Chaque année, environ 29 000 diplômés des TIC entrent sur le marché du travail, mais le nombre de travailleurs spécialisés en TI ne suffit pas à la demande.
« Je pense que notre demande dépassera toujours l’offre », estime Jayson Hilchie, président et chef de la direction de l’Association canadienne du logiciel de divertissement. « Grâce aux investissements d’entreprises internationales comme Amazon, IBM, Microsoft, Shopify et Mozilla Corporation, on assiste à une multiplication des foyers technologiques. Tant que le Canada restera un pays attractif pour faire des affaires, nous courrons tous après les mêmes compétences. »
Dans son dernier rapport prospectif publié en avril 2017, le Conseil des technologies de l’information et des communications (CTIC) prévoit que d’ici 2021, environ 216 000 postes cruciaux destinés à des talents numériques devront être dotés d’ici 2021 au Canada.21
Les entreprises canadiennes signalent déjà leur incapacité à trouver des employés qualifiés pour occuper certains postes stratégiques. Voici ce qu’a révélé un sondage mené en 2016 par l’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet (ACEI) et The Strategic Counsel :
- Parmi les dirigeants d’entreprise de TI interrogés, 40 % ont eu de la difficulté à recruter des professionnels des TI au cours des 12 derniers mois.
- La moitié des directeurs d’embauche en TI ont déclaré ne pas avoir pourvu certains postes, faute de candidats qualifiés .22
Lors du Forum canadien sur l’Internet, organisé par l’ACEI en juin 2016, les panélistes ont confirmé par d’autres éléments les défis de recrutement à venir dans le domaine des TI.
- L’inadéquation des compétences se maintient. Les diplômés qui entrent sur le marché du travail n’ont pas les aptitudes nécessaires pour accomplir leurs fonctions. Les connaissances acquises durant leurs études sont souvent obsolètes au bout de six mois d’expérience.
- La formation professionnelle, grâce à laquelle les travailleurs expérimentés peuvent maintenir leurs compétences technologiques, est insuffisante.
- Les technologies évoluent si rapidement que la demande de spécialistes des TI croit beaucoup plus vite que l’offre.23
Afin de répondre aux besoins futurs, le CTIC estime que le Canada devra former chaque année 43 000 nouveaux professionnels des TI.24
3.2.1 Les petites et moyennes entreprises canadiennes seraient les plus touchées par la pénurie
On estime que 58 % des petites et moyennes entreprises n’ont pas réussi à adopter les technologies qui auraient pu stimuler leur compétitivité, car elles n’ont pas trouvé les talents pour les mettre en œuvre.25 Dans un sondage réalisé en 2016 auprès de 4 000 microentreprises canadiennes (comptant moins de cinq employés), GoDaddy et Reddit ont découvert que 59 % des répondants n’avaient pas de site Web.26 L’adoption de technologies de l’information est essentielle pour améliorer la productivité, l’efficacité et la compétitivité. Pourtant, les quelque 100 000 microentreprises qui pourraient le plus profiter de ces coups de pouce sont laissées pour compte. Cela est très probablement dû à leur manque d’accès à des professionnels des TI qualifiés pouvant déployer ces technologies, les spécialistes privilégiant très largement les grandes entreprises du secteur, plus payantes.
« Le recrutement de travailleurs qualifiés en TI ne m’empêche pas de dormir la nuit », déclare M. Hilchie, directeur de l’Association canadienne du logiciel de divertissement.
Cela peut sembler étonnamment optimiste, mais M. Hilchie et ses pairs ont été au premier plan de la réflexion autour des solutions à la pénurie de compétences numériques au Canada. Son association représente 500 studios indépendants, qui forment ensemble la troisième industrie du genre, derrière celles des États-Unis et du Japon.
En 2015, le CTIC a recensé plus de 877 470 travailleurs occupant un poste en lien avec les TIC au Canada. La part de ceux évoluant dans le domaine du logiciel de divertissement est peut-être limitée, mais M. Hichie estime que son industrie se trouve « clairement au cœur de l’innovation ».
« Avec 21 700 emplois directs à temps plein et 19 000 emplois indirects, l’industrie du jeu vidéo soutient au total 40 000 travailleurs et contribue au PIB à hauteur d’environ 3,7 milliards de dollars », souligne M. Hilchie. « Elle n’est pas aussi étendue que l’ensemble du secteur des TI, mais elle continue à croître à un rythme soutenu, en raison notamment du nouvel intérêt pour la réalité virtuelle et du développement de capacités qu’il entraîne. »
Le salaire moyen d’une personne travaillant dans le domaine du logiciel de divertissement, tous degrés d’expérience confondus, est légèrement supérieur à 77 000 $. Entre 2013 et 2016, l’industrie a connu une croissance de 31 %, dont une part de 90 % repose sur l’exportation.
L’industrie du jeu canadienne joue en outre un rôle central dans la conception de technologies innovantes en lien avec les soins de santé, l’intelligence artificielle et les véhicules autonomes.
« Dans le domaine des véhicules autonomes, notre industrie met au point des processeurs graphiques qui servent à l’analyse de données », explique M. Hilchie. « Les interfaces graphiques et de visualisation sont toutes conçues par des entreprises qui produisaient auparavant des jeux vidéo. En matière de rééducation, la formation chirurgicale se fait aussi grâce à des technologies issues de l’industrie du divertissement. Celles-ci servent enfin de base aux systèmes d’intelligence artificielle. Beaucoup d’entre eux utilisent par exemple les jeux pour l’apprentissage profond et l’adaptation. »
Consciente de la crise de talents actuelle, l’Association canadienne du logiciel de divertissement a été à l’avant-garde des efforts de lobbying – couronnés de succès – qui visaient à améliorer l’accès à des professionnels du numérique originaires du monde entier.
3.4 Une politique canadienne fait tomber les barrières à l’origine de la pénurie de talents numériques
3.4.1 La Stratégie en matière de compétences mondiales du Canada
En juin 2017, le Canada a repensé son programme des travailleurs étrangers temporaires pour faciliter l’embauche de professionnels du numérique hautement qualifiés en provenance d’autres pays. Le Volet des talents mondiaux vise à pallier la pénurie de talents dans le domaine du numérique.
« Nous avons vigoureusement défendu cette réforme de l’immigration », souligne M. Hilchie. « Elle donnera à notre industrie les moyens de recruter dans le monde entier les travailleurs que nous peinons à trouver sur place en raison de la très forte demande. »
Selon M. Hilchie, l’un des plus gros avantages du nouveau programme est la réduction des délais de traitement. Alors qu’il fallait auparavant compter au moins six mois pour pourvoir un poste stratégique de TI à court terme, les entreprises canadiennes peuvent maintenant faire venir des candidats étrangers qualifiés en moins d’un mois.
Selon les nouvelles conditions, les employeurs peuvent obtenir la recommandation d’un partenaire de l’industrie reconnu par le gouvernement du Canada pour embaucher un travailleur aux « compétences uniques et spécialisées » au titre de l’un des deux volets de talents mondiaux. Les candidats étrangers embauchés dans le cadre de la catégorie A du Volet des talents mondiaux de l’innovation doivent répondre aux exigences suivantes :
- Avoir une connaissance approfondie de l’industrie;
- Posséderr un diplôme d’études supérieures dans un domaine de spécialisation pertinent pour l’employeur ou un minimum de cinq ans d’expérience dans ce domaine;
- Occuper un poste à haut salaire (habituellement 80 000 $ ou plus).
La catégorie B du Volet des talents mondiaux dresse une liste des postes que les employeurs peuvent pourvoir avec des professionnels étrangers, à condition de remplir les exigences salariales minimales :
- Gestionnaires des systèmes informatiques
- Ingénieurs informaticiens
- Analystes et consultants en informatique
- Analystes de bases de données et administrateurs de données
- Ingénieurs et concepteurs en logiciel
- Concepteurs et développeurs Web
- Technologues et techniciens en génie électronique et électrique
- Évaluateurs de systèmes informatiques
- Producteur, directeur technique, de création et artistique et gestionnaire de projet – Effets visuels et jeu vidéo
- Designers dans le domaine des médias numériques
3.4.2 Le Plan pour l’innovation et les compétences du Canada
Même si le gouvernement fédéral ne peut modifier les programmes d’enseignement, M. Hilchie croit qu’il devrait être un moteur du changement et souligne les nombreux progrès réalisés ces deux dernières années.
Dans le budget de 2017, le gouvernement a présenté le Plan pour l’innovation et les compétences du Canada. Avec cette stratégie, il s’engage à soutenir financièrement des initiatives pouvant sensiblement améliorer les compétences numériques des Canadiens :
- L’apprentissage intégré au travail, notamment par le financement de programmes d’éducation coopératifs qui créeront un lien entre les étudiants et les employeurs;
- Les organisations qui enseignent aux jeunes les compétences numériques et la programmation hors du programme officiel (financement de 50 millions de dollars);
- Les formations professionnelles pour les personnes touchant l’assurance-emploi;
- Les « supergrappes », des groupes d’entreprises innovantes qui ont le potentiel d’« accélérer la croissance économique ».
L’initiative des suppergrappes a été considérablement renforcée avec les financements et objectifs annoncés dans le budget fédéral de février 2018.
« Notre pays avance dans la bonne direction », déclare M. Hilchie. « Mais nous devons poursuivre nos efforts, continuer à mettre l’accent sur la création d’infrastructures capables de produire le talent dont nous avons besoin. »
Enseigner la programmation aux filles
Au Forum canadien sur l’Internet de 2016, Tanya Wood, vice-présidente, Politiques et affaires juridiques pour l’Association canadienne du logiciel de divertissement, affirmait que les jeux vidéo n’étaient pas « une affaire de garçons qui jouent dans leur sous-sol ». Les joueurs sont âgés en moyenne de 31 ans et on compte autant d’hommes que de femmes. Le jeu est la base de technologies innovantes utilisées dans de nombreux secteurs. Or, les femmes sont toujours sous-représentées dans le secteur des TIC.
Mme Woods milite pour que les entreprises locales contribuent en amont à éliminer les stéréotypes et à attirer davantage de filles dans le secteur technologique. Elle a soutenu la création de la communauté GirlForce à Ottawa, dans le cadre de laquelle des spécialistes de la région jouent le rôle de mentors auprès d’étudiantes du secondaire et leur enseignent comment concevoir des jeux vidéo.
SOMMAIRE : Se mettre en quête des talents numériques spécialisés
- La prévalence croissante des technologies numériques a fait grimper la demande pour des professionnels des TI.
- Le nombre de travailleurs spécialisés en technologies est toutefois insuffisant pour répondre à cette demande.
- Le gouvernement a mis en place certains programmes, tels que le Volet des talents mondiaux et le Plan pour l’innovation et les compétences, afin d’aider les employeurs canadiens à embaucher des travailleurs spécialisés du secteur numérique provenant d’autres pays.