Eh oui, il est reparti à la hausse. Le huard a pris de l’altitude la semaine dernière, et la nouvelle a eu un écho évident. Dans les médias, son appréciation naissante a donné lieu à toutes sortes « d’analyses ». Pour leur part, les exportateurs redoutent – bien légitimement – un retour vers la parité et au-delà. Après tout, il y a à peine trois ans, le huard se trouvait à parité. Personne, sinon une poignée d’analystes, n’avait prévu que notre dollar descendrait de ces sommets. Le récent bond a été ressenti comme un revirement capable de déclencher une progression soutenue vers un niveau radicalement nouveau. Mais est-ce le cas? Jusqu’où le huard s’envolera?
Pour mettre le tout en perspective, examinons les récents mouvements de grande ampleur. Ces dix dernières années, le gros de l’action s’est produit en parallèle avec les fluctuations du cours des produits de base. Avant la récession, l’élan vers la parité a d’abord été imprimé par un sursaut des cours pétroliers, puis consolidé par le raffermissement du cours des métaux de base et d’autres produits de base. À la fin 2008, la récession a plombé les cours des produits de base, et le huard a emboîté le pas en quittant la parité pour chuter autour de 75 cents par rapport au billet vert. En environ un an, il était de retour à la parité. Les programmes de dépenses mises en œuvre par les divers gouvernements de la planète, qui ont été accompagnés de mesures monétaires extraordinaires, ont contribué à faire descendre les cours des produits de base des pics précédemment atteints, et ce, malgré une croissance globale poussive. Le huard était de nouveau à route vers la parité. Le retour de la croissance en 2014 a entraîné le retrait progressif des programmes de relance, ce qui a suffi à ramener les cours des matières premières à des niveaux plus normaux et le dollar canadien dans la fourchette des 75 cents.
Le récent mouvement est un peu problématique. Il survient alors que les cours des produits de base, en hausse par rapport aux creux cycliques d’il y a environ 18 mois, demeurent dans une fourchette particulièrement basses. Les années pendant lesquelles les cours étaient robustes ont soulevé une vague d’investissement dans le secteur des ressources, ce qui explique l’offre excédentaire actuelle à l’échelle mondiale. La plupart des analystes s’attendent à bien davantage qu’un modeste mouvement à la hausse à moyen terme tandis que, pour leur part, les marchés des devises ne misent pas sur un net mouvement ascendant étant donné la trajectoire attendue des cours des produits de base. Pour atteindre la parité par cette voie, il faudrait des cours pétroliers à au moins 100 dollars le baril. Or, ils se trouvent aujourd’hui à mi-chemin de ce niveau. Mais il y a plus : les cours des métaux de base devraient aussi grimper, un scénario improbable sans une embellie notable de la croissance mondiale.
Pendant cet épisode marquant, l’un des facteurs ayant une influence déterminante sur la monnaie était absent du devant de la scène. Les taux d’intérêt – au Canada tout comme aux États-Unis – ont atteint de formidables creux au lendemain de la récession. Mise à part la fluctuation très occasionnelle de 25 points de base, lors des cinq années ayant suivi la grande récession, les taux étaient loin de faire les grands titres. Pourtant, dès que la Fed a commencé à diffuser des messages et a amorcé le retrait de l’assouplissement quantitatif, la politique monétaire est du jour au lendemain devenue un sujet brûlant d’actualité – de l’autre côté de la frontière, États-Unis. Face à la baisse du dynamisme de l’économie intérieure au Canada, on a supposé qu’il se produisait un rare découplage de la politique monétaire, sans hausse des taux dans un horizon à court terme. Ce manque à gagner a ensuite été répercuté sur la monnaie, ce qui a amplifié la faiblesse induite par la chute des cours des produits de base.
Tout cela a changé il y a deux semaines, lorsque la Banque du Canada a décidé de resserrer sa politique monétaire. Une décision qui a pris la plupart par surprise – les marchés se sont redressés pendant six semaines après avoir pris conscience du changement de posture de la Banque. La rapidité avec laquelle le message a changé et la récente action sur les taux ont enflammé l’imagination des négociants, ce qui a fait grimper le huard. On a vite revu les prévisions d’un dollar tournant autour de 74 cents par rapport à la devise américaine pour les porter à 80 cents après le bond fait par le dollar canadien en deux et trois jours.
Voilà un bond considérable en tout juste quelques jours. Que faut-il en déduire? Selon notre modèle monétaire, un écart de 100 points de base entre les taux d’intérêt au Canada et les bons du Trésor américain à 90 jours est nécessaire pour générer un mouvement de trois cents de la monnaie. La récente fluctuation du huard était le double de cet écart, et si les autres facteurs influant sur la monnaie restent constants, cela supposerait que les marchés tablent sur un mouvement de 200 points de base. De toute évidence, ces attentes sont considérablement optimistes. Si tel est le cas, le chemin pour atteindre la parité serait interminable. Le seul élément pouvant changer la donne est la tenue du billet vert. S’oriente-t-il à la baisse? L’impasse politique semble avoir provoqué une érosion modérée de la confiance. Mais compte tenu de la vigueur sous-jacente de l’économie, il y a fort à parier que cette baisse sera passagère.
Conclusion?
Si on se fie aux facteurs influant sur la monnaie, le huard serait encore loin de la parité. Pour s’en rapprocher, il faudrait de formidables mouvements des taux d’intérêt, des cours des produits de base et de la valeur du dollar américain pondérée en fonction des échanges commerciaux. Le huard se maintiendra donc à cette altitude pendant un bon moment.