Le problème qui trône en tête de notre liste a changé. En effet, notre obsession planétaire à composer avec la pandémie cède désormais le pas à notre capacité à gérer la vague de croissance qui déferle dans l’économie. Le sentiment partagé que nous sommes sur le point d’atteindre l’immunité collective a donné lieu à une relance hâtive de l’activité, à l’image des invités se pointant à une fête avec une ponctualité excessive. Comment expliquer que nous ayons été pris au dépourvu par la relance, pourtant si ardemment souhaitée?

La réponse est simple : cette relance était inattendue, d’où notre manque de préparation. Des analyses de la conjoncture réalisées rapidement, mais très influentes nous annonçaient une très longue reprise. C’était là la prémisse de toutes les prescriptions dans The Great Reset, signé par Klaus Schwab et Thierry Malleret. Cet ouvrage a été cité par le dirigeant d’un pays, et puis par d’autres dans leurs efforts concertés pour ne pas « rater l’occasion de tirer parti d’une bonne crise ». En gros, les auteurs nous présentent la conclusion suivante : l’économie mondiale serait incapable mobiliser ses propres ressources pour orchestrer une reprise respectable : elle aurait donc besoin d’un soutien majeur – non seulement à court terme, mais en permanence.

Ce message a trouvé un écho au-delà des sphères du pouvoir. Une autre raison explique notre manque de préparation : la timide reprise lors de la dernière crise économique mondiale. Rappelons-nous : la sortie de la crise financière et économique mondiale de 2008 et 2009 a pris près d’une décennie, et c’est précisément à ce moment que la pandémie a frappé. Persuadés qu’il s’agissait de la « nouvelle normalité », la plupart des analystes nous ont conseillé de nous mettre à couvert pour mieux surmonter ce nouvel épisode de repli de l’activité. 

Or, on a omis de prendre en compte le fait que, cette fois, les conditions préalables étaient très différentes. À l’époque, on était confronté depuis plusieurs années avec une immense bulle, typique de celle précédant les récessions et dont la portée était mondiale. L’heure de la récession avait sonné. Dans le cas présent, le contraire est vrai : on se trouvait devant une immense « anti-bulle » de demande comprimée formée par la reprise léthargique que l’on souhaitait tous derrière nous. Et cette fois, la récession était le résultat d’une décision et non d’un événement du marché.

Et si l’imposant programme de relance était à l’origine de tout ceci, et la rapide croissance une simple illusion? Voilà une hypothèse ingénieuse, mais peu convaincante. Lors du dernier cycle, on a aussi déployé d’importantes mesures de relance monétaire et budgétaire, mais celles-ci avaient moins trouvé preneur. Souvenons-nous : au plus fort des mesures de relance, la croissance avait fait du surplace. Les mesures avaient suscité très peu d’intérêt chez les acteurs privés de l’économie. Durant l’épisode actuel, l’économie a attrapé la balle au bond et progresse, mue par son propre dynamisme. Les mesures de relance fonctionnent comme elles l’ont fait lors de la dernière crise.


Il est évident que les entreprises n’étaient pas prêtes pour cette poussée de la croissance. Pour preuve : les chaînes d’approvisionnement sont fortement perturbées; les plans d’embauche ne coïncident pas avec les besoins du marché; et les plans d’investissement sont loin des besoins actuels de l’économie au chapitre des capacités. Fondamentalement, la situation actuelle se résume à un problème de préparation, dont les causes remontent aux présuppositions ayant suivi la crise financière mondiale au sujet du véritable état de l’économie de libre marché.

Le manque de préparation était aussi décelable du côté des politiques. La reprise générale en forme de V a été assombrie par la couverture médiatique excessive de la mauvaise fortune de certains secteurs – comme le tourisme, le transport aérien, l’hébergement et certains pans du commerce de détail – et leur grande difficulté à se redresser. Aujourd’hui, la croissance maintient le cap et la plupart des secteurs éprouvés reprennent du mieux, alors même que la politique monétaire tente de s’ajuster à des niveaux d’inflation présents depuis plusieurs mois dans l’économie. Le retrait progressif de l’assouplissement quantitatif se produit plus tôt que prévu, et les projections liées au taux d’intérêt sont revues à la hausse à une fréquence inquiétante.

Les conditions sont réunies pour procéder à un retrait calculé des mesures de relance budgétaire, mais mener à bien cette tâche se révèle difficile. Ainsi, malgré des capacités serrées, les États-Unis mettent en œuvre des plans d’infrastructure et d’autres plans de relance qui soulèvent un élan d’enthousiasme. 

La justesse des actions prises sera déterminante de la suite des choses. Les entreprises doivent réagir avec suffisamment de promptitude pour corriger les problèmes de capacité avant qu’ils ne minent la confiance dans l’économie. De même, les responsables de la politique monétaire doivent intervenir, mais de manière à ne pas entraver le bel élan de la croissance. Les uns comme les autres devront s’exécuter avec une précision chirurgicale; une bonne dose de chance ne sera pas de trop.

Conclusion?

Souvent, nous pensons que si la croissance est au rendez-vous, nous pouvons la gérer. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La quête actuelle de capacités pourrait fausser la dynamique si nous ne sommes pas prudents. Les fondamentaux nous disent que la croissance repose sur de solides assises. Toutefois, des fissures pourraient apparaître dans ces assises si nous manquons de vigilance. Par chance, l’économie dispose de ressources efficaces pour remédier aux difficultés posées par la présente conjoncture dans la mesure où nous, les acteurs économiques, avons une bonne compréhension du scénario qui se joue.

 

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